Littérature

Emission Le Printemps des écrivains avec Amadou Elimane Kane

Suite à la parution de son nouveau roman intitulé Entre l'aube et le crépuscule, Amadou Elimane Kane revient sur son travail de création pour l'émission Le printemps des écrivains, animée par Ousmane Mangane. 

 

 

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Alioune Badara Bèye : une conscience de la Renaissance africaine !

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La plume de Alioune Badara Bèye est celle d’un bâtisseur, d’un homme attaché à ses convictions et qui représentent à elles seules un idéal panafricain. C’est en ce sens qu’il est intéressant de suivre le parcours extraordinaire de Alioune Badara Bèye qui, de l’engagement militaire de ses débuts et de ses différentes activités professionnelles, va puiser son inspiration pour produire une œuvre littéraire variée, s’essayant avec talent à tous les genres. C’est aussi la conscience panafricaine, évocatrice de la Renaissance qui retient également toute notre attention.

Alioune Badara Bèye est né à Saint-Louis du Sénégal en 1945. Son père, un Lébou né à Rufisque en 1900, revint à Saint-Louis comme contrôleur des impôts après une carrière militaire dans l’armée française durant trente ans. Sa mère était elle originaire du Walo.

Jusqu’à l’âge de six ans, Alioune Bèye fut élevé par sa grand-mère maternelle qu’il admirait beaucoup. A sa mort, sa peine fut immense. Suite à une nouvelle affectation de son père, toute la famille quitte Saint-Louis pour rejoindre Dakar. Son père possédait une maison à Colobane héritée de son propre père. Ils s’installèrent mais la vie n’était pas toujours facile dans l’environnement de Colobane. Le jeune Alioune poursuivit son cycle primaire sans difficulté. A la suite de l’organisation d’une grève dont il est l’instigateur, il est exclu du collège d’Orientation et intègre le collège du Plateau, sur l’intervention de Senghor qui était l’ami de son père.

Malgré une « surveillance étroite », le jeune lycéen est à la tête d’un nouveau mouvement de grève en 1962. Compte tenu des précédents évènements estudiantins contre le gouvernement, cette attitude de contestation est très mal perçue par l’entourage de Alioune Bèye. Titulaire de son Brevet, Alioune Bèye est sommé par son père de préparer le concours pour entrer dans la Marine française. Il y est reçu troisième sur près de 400 candidats. En 1963, Alioune Bèye est affecté à Saint-Mandrier, près de Toulon, dans une école qui forme les mécaniciens de la marine et les conducteurs d’appareils. Durant plusieurs mois, Alioune Badara Bèye reçoit un apprentissage technique et militaire dans le corps de la marine. Les conditions de vie y sont parfois difficiles, à cause du climat et de l’exil mais Alioune Badara Bèye se bagarre et trouve du réconfort auprès de ses camarades sénégalais affectés avec lui. Il se découvre aussi une grande passion pour le sport. Très bon joueur de football, il rate de très près une carrière sportive professionnelle en raison de son engagement militaire qui ne l’autorise pas à mener cette double activité. La formation à Saint-Mandrier dura deux ans. En 1965, Alioune Badara Bèye rentre à Colobane dans la plus grande joie retrouver toute sa famille. Il s’adonne alors à sa passion du football en intégrant un club de quartier de Dakar le « Santos Football ».

A vingt ans, et de retour à Toulon, Alioune Badara Bèye a une vie très agréable. Il poursuit sa formation dans la marine et est reconnu en France pour ses qualités de joueur de football. Devenu adjoint technique de la Marine et footballeur en herbe, Alioune Badara Bèye rentre au Sénégal pour exercer ses fonctions, son diplôme de conducteur d’appareils en poche. Mais c’est dans l’exercice du football qu’il se distingue, il devient un des meilleurs butteurs de la Marine et du Championnat militaire. L’équipe de la Marine sénégalaise était une redoutable formation et gagnait tous ses matchs.

En 1968, Alioune Badara Bèye termine son engagement militaire et quitte la Marine. Il poursuit alors une carrière de footballeur. Mais une grave blessure survenue en 1969 l’oblige à interrompre sa brillante carrière.

En 1970, il est recruté par la douane sénégalaise pour servir sur les vedettes de croisière et intégrer ainsi les brigades maritimes et fluviales. Il devient conducteur d’appareil du bateau Blaise Diagne. A cette occasion, Alioune Badara Bèye rencontre des gens formidables qui constituent l’équipage. C’est aussi le moment où le jeune Alioune Bèye épouse Maïmouna Diaw, à l’âge de vingt-deux ans, celle dont il dit qu’elle était « élégante, racée, fine comme une gazelle » et dont il chante la beauté dans ses poèmes. Quelques mois après son mariage, il est affecté à Rosso au nord du Sénégal où il intègre le service de gardes et de tournées. Ainsi il découvre la région du Walo dont le caractère mythique et historique inspirera son œuvre théâtrale. Il apprend aussi son métier de douanier marin. En 1970, alors qu’il est à Rosso, son épouse donne naissance à son premier fils, Ibrahima. Deux ans plus tard, Alioune Badara Bèye est affecté à Dakar à la brigade maritime. En 1974, il rejoint Foundiougne où il a en charge la vedette de la brigade fluviale et son deuxième fils vient de naître. Son séjour à Foundiougne fut très court mais déterminant pour les nouvelles aspirations de Alioune Badara Bèye. Au centre Culturel Africain de la Médina, il rencontre Abdoulaye Racine Senghor, professeur de Lettres et écrivain, Mamadou Traoré Diop, Ngagne Demba Gueye et son directeur Doudou Guèye que Alioune Badara Bèye considère comme un grand poète engagé. A ses yeux, son appartenance à l’administration sénégalaise l’handicape pour s’illustrer dans le monde des lettres. De plus, son statut professionnel au sein de la douane est très précaire, il en profite pour changer de voie.

Avant d’atteindre la quarantaine, Alioune Badara Bèye prépare un concours et devient contrôleur économique afin de retrouver pleinement les avantages de la vie civile.

Son entourage, et son père en particulier, est très surpris de cette décision et de ce changement de cap professionnel. Mais comme se définit Alioune Badara Bèye lui-même, il est « un homme de rupture, de refus ». L’administration sénégalaise a beaucoup appris à Alioune Badara Bèye. Il y a rencontré des fonctionnaires loyaux, honnêtes et professionnels.

Mais ce sont des souvenirs plus douloureux qui le poussent aussi à partir, ceux des naufrages auxquels il a assisté et les pertes humaines qu’ils ont engendrées. Devenu contrôleur économique, il commence sa formation technique à la Direction de l’administration. A l’issue de ce stage, il est nommé à Pikine où il apprend les premiers rouages du contrôle économique. C’est également à Pikine qu’il fait la connaissance des premiers militants du PDS : Aïda Senghor, Alioune Badara Niang, Raby Diallo, l’acteur Lamdou et la chanteuse Ndèye Seck. A cette époque où l’inflation sur les denrées alimentaires est importante, les contrôles du Ministère des Finances et de l’Economie sont plutôt fructueux car les amendes nombreuses. En 1975, au moment où il prend possession de son logement aux HLM Angle Mousse acquis en location-vente, son troisième fils Matar Mamour Bèye naît. Il est aujourd’hui le rappeur Tonton Mac du groupe musical Sunu Flavor. 

En 1978, Alioune Badara Bèye est nommé à Matam, à sept cents kilomètres de Dakar suite à une altercation avec un commerçant Maure. Cette décision embarrasse Alioune Badara Bèye car toute sa famille est installée à Dakar et l’éloignement l’inquiète. La vie à Matam est difficile en raison de la chaleur, des conditions de vie très simples mais l’entourage, comme toujours, a son importance et son rôle à jouer. Alioune Badara Bèye découvre une région riche de symboles traditionnels, traversés de la culture pulaar qui l’impressionne et qu’il respecte. Pourtant, sur l’intervention d’une cousine et de son père, Alioune Badara Bèye est muté à Thiès, à moins de cent kilomètres de Dakar. L’activité professionnelle et la vie à Matam ont été très enrichissantes dans le parcours de Alioune Badara Bèye, mais la distance le séparant de son épouse et de ses enfants était une véritable punition pour cet homme très attaché aux valeurs familiales. Après quelques mois à Thiès en tant que chef de brigade régionale puis à Rufisque, Alioune Badara Bèye regagne définitivement Dakar en 1989.

Parallèlement, et ce depuis 1982, Alioune Badara Bèye poursuit une carrière littéraire avec des premières publications et la mise en onde de sa première performance poétique intitulée « Kalmi ». Puis « Le Sacre du Ceddo », son premier texte théâtral, fut sélectionné pour une représentation radiophonique qui connut un franc succès dans toute l’Afrique francophone. La pièce fut ensuite jouée au Théâtre National Daniel Sorano portée par un groupe d’artistes chevronnés et soutenue par le conseiller culturel du Président Senghor, Makhily Gassama. Alioune Badara Bèye a réalisé son rêve, celui d’être dramaturge dans son pays. Ce succès, il le doit à son formidable tempérament de bâtisseur, de celui qui croit ardemment en la grandeur esthétique de la culture africaine. C’est de cette force de l’engagement panafricain qu’il puise son énergie artistique. C’est dans cet esprit foncièrement optimiste qu’Alioune Badara Bèye poursuit son ascension dans l’univers littéraire et artistique. Plusieurs textes de théâtre sont montés et rencontrent de vifs succès auprès du public et bénéficient d’adaptations pour la télévision. Son ouverture d’esprit et son talent ont permis à Alioune Badara Bèye de valoriser le théâtre historique et de l’offrir à un grand nombre de sénégalais. C’est par cette médiation populaire que le sens de l’engagement artistique de Alioune Badara Bèye prend toute sa puissance.

Ses activités artistiques prennent alors le pas sur ses obligations professionnelles à l’administration du contrôle économique. C’est ainsi qu’en 1987, il participe au premier symposium littéraire international contre l’apartheid à Brazzaville. Cette rencontre est déterminante dans le parcours de Alioune Badara Bèye. Organisée par des écrivains congolais, elle réunit des intellectuels, des artistes africains et internationaux. C’est un véritable évènement qui consacre l’Union Africaine comme force contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Quelques mois plus tard, Alioune Badara Bèye est de nouveau à Brazzaville, comme porte-parole du gouvernement sénégalais pour rendre hommage au leader Nelson Mandela, récemment libéré. Ces manifestations internationales auxquelles participe Alioune Badara Bèye lui permettent de rencontrer des hommes politiques militants de la cause africaine et d’illustres écrivains engagés dans la lutte panafricaine : Wolé Soyinka, Atukwé Okaï, Alex Laguma, William Sassine, Edmond Jouve. Parallèlement à ses succès littéraires en tant que dramaturge, Alioune Badara Bèye crée sa propre maison d’édition, les éditions Maguilen. Là aussi, on ne peut que saluer ce formidable engagement à fonder sa ligne éditoriale ayant en tête une belle réussite économique et artistique.

Soulignons encore que Alioune Badara Bèye est l’auteur d’une pièce majeure du théâtre sénégalais, « Ndeer en flammes », récit qui retrace l’épopée des femmes de Ndeer, souveraines du Waalo qui combattaient l’envahisseur, et qui constitue un épisode fondateur de notre patrimoine historique et culturel. Après un beau succès et une reconnaissance publique pour la pièce, Alioune Badara Bèye poursuit ses engagements et sa volonté d’ouvrir au monde les symboles de la culture africaine. Il fonde alors une société de production afin de mettre en œuvre la réalisation d’une série télévisuelle consacrée à un héros national, Lat-Dior. Entre-temps, il quitte l’administration du contrôle économique pour se consacrer pleinement à son nouveau projet.

Avec l’argent de ses années de travail au Ministère des Finances, le soutien de l’Etat, très favorable à la réalisation du projet et des subventions diverses, Lat-dior voit le jour après sept mois de tournage, de nombreuses difficultés et des moments inoubliables. Le film est le témoignage de l’union des talents, des acteurs, du réalisateur, des techniciens, des musiciens. C’est un authentique exemple de la communion qui peut s’opérer dans l’univers artistique africain lorsque l’engagement est total, dynamique, juste et loyal.

En 1992, la série Lat-Dior fut diffusée à la télévision sénégalaise et remporta une belle audience publique. Elle reçut aussi une légitimité artistique unanimement reconnue par de la presse largement impressionnée par l’écriture et la réalisation du projet. Les télévisions internationales, TV5, CFI, Arte achetèrent les droits de diffusion et Alioune Badara Bèye vivait enfin de ses droits d’auteur tout en étant reconnu comme scénariste professionnel. A ce stade de sa carrière, on est émerveillé de la réussite de Alioune Badara Bèye qui scrupuleusement s’attache à son rêve de bâtisseur, un songe aux dimensions véritablement artistiques et humaines.

C’est ainsi que tout naturellement il est devenu le Président de l’Association des Ecrivains du Sénégal (AES) et conjointement Président de la FIDELF (Fédération Internationale des écrivains de langue française). A la tête de l’AES, il contribue largement à la diffusion de la littérature sénégalaise, à la mise en valeur de notre culture et de notre patrimoine africain.

Depuis 2001, il est aussi le Président du Conseil d’Administration du Théâtre National Daniel Sorano, haut lieu de l’expression artistique au Sénégal. Il y apporte ses engagements culturels, son expression artistique et littéraire personnelle, ancrée dans la modernité de l’Afrique d’aujourd’hui et de la Renaissance. En 2005, la coordination générale du FESMAN fut installée au Théâtre Daniel Sorano et Alioune Badara Bèye fut nommé à la tête de l’organisation du festival.

A la lecture des grandes étapes de la vie de Alioune Badara Bèye, on voit combien cet homme lucide et profondément visionnaire est dans la lignée des figures fondatrices de la Renaissance Africaine.

Résolument optimiste, engagé en littérature en toute humilité mais avec une force juste, une conviction à dire l’histoire et la culture africaines, Alioune Badara Bèye est un homme, un artiste au plus près des réalités d’une Afrique moderne, renouvelée qui doit s’unir et se doter de réalisations audacieuses et rigoureuses intellectuellement. Le parcours de Alioune Badara Bèye est l’exemple frappant de cette conscience panafricaine indissociable de notre Renaissance culturelle, artistique, historique, politique, sociale et économique.

Amadou Elimane KANE, poète écrivain

 

L’imaginaire engagé ou l’écriture prémonitoire dans l’oeuvre d’Amadou Elimane Kane

Suite aux événements tragiques qui se sont déroulés ces derniers mois au Sénégal, la maison d’éditions Lettres de Renaissances tient à partager son soutien en faveur du peuple sénégalais pour restaurer la parole et la liberté.

Dans le cadre de notre mission littéraire, nous préparons la publication d’un récit d’Amadou Elimane Kane qui s’intitule Entre l’aube et le crépuscule. Ce récit a été écrit par l’auteur entre décembre 2021 et octobre 2022 et il se déroule en trois parties. Au début du récit, c’est à travers la parole de Salamata que nous traversons les épopées africaines, chargées de symboles, qu’elle transmets à ses enfants. Dans la seconde partie, nous sommes à l’époque actuelle dans un lieu reconstruit pour les besoins de la fiction. Le personnage central, Pathé, un écrivain de renom et éduqué selon les principes de l’histoire africaine, enquête sur un scandale politique qui secoue la République des Samba Kounkandé car il ne peut se résigner à un sophisme en trompe l’oeil. Dans l’épilogue, c’est Salamata qui reprend la parole pour raconter la chute des dictateurs du XXe siècle qui, malgré le chaos, assassinent la grandeur de l’humanité.

Cette histoire est un miroir de la réalité, alliée à la fiction, pour dénoncer les manipulations d’un État qui se désolidarise de la justice pour maintenir sa suprématie. La résolution de ce récit est prémonitoire car la sentence prononcée qui innocente le mis en cause est écrite sur le papier. Cette accusation n’a pour objectif que d’écarter un homme engagé qui s’oppose à la gabegie d’un gouvernement devenu illégitime. Ce récit d’Amadou Elimane Kane, ô combien d’actualité, relève, par le truchement de l’écriture, de l’anticipation. Nous ne changerons pas une virgule de ce récit car la littérature sert à éclairer les cahots d’une histoire qui se passe sous nos yeux en prenant le chemin qui est le nôtre, celui du serment de se battre par les mots et par les idées.

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Salamata est issue d’une famille aristocratique et lettrée. Bien que n’ayant pas été à l’école, elle a été éduquée par son père qui lui a raconté les épopées africaines. Mariée et mère de plusieurs enfants, Salamata transmet à son tour les récits des reines d’Afrique. Parmi ses enfants, Pathé est le plus agile, aussi bien par l’esprit que par le corps. C’est lui qu’elle choisit pour délivrer la parole des ancêtres.

Plus tard, Pathé, devenu adulte, enseignant et écrivain, œuvre pour la défense des femmes. Quand le pays est secoué par un scandale médiatique qui met en cause un homme politique pour violence sexuelle envers une jeune femme, Pathé décide de mener l’enquête. Car dans la République des Samba Kounkandé, tout est brouillard et confusion entre fabrication, trahison et corruption. Pathé s’engage alors dans une quête de la vérité, à la limite des chemins interdits et dangereux d’un pouvoir prêt à tout.

À la fin du récit, la voix de Salamata revient du royaume des morts pour enseigner à sa petite-fille la chute des dictateurs du XXe siècle qui conduisent leur destin à la destruction en entraînant avec eux les valeurs humaines.

Avec ce nouveau roman, Amadou Elimane Kane renoue les liens avec les soubresauts politiques de l’Afrique moderne. Entremêlant le récit de Salamata qui porte la mémoire des valeurs africaines, celui de la décrépitude de la République des Samba Kounkandé et la chute des dictateurs du XXe siècle, l’auteur met en lumière la grande histoire africaine tout en dénonçant les gouvernances tronquées des nations qui se désagrègent et se déchirent. Ce sont les agissements de l’élite, avides d’opulence et d’autorité, qui balaient tous les repères des civilisations. Amadou Elimane Kane nous dit que l’Afrique renaissante ne peut survivre que si elle sait regarder en face les soleils trompeurs et reprendre les rênes de sa démocratie basée sur des valeurs de justice et de vérité.

 

Michèle SELLIER, directrice littéraire des éditions Lettres de Renaissances

Trilogie à paraître d’Amadou Elimane Kane : 

Le serment blessé, roman, éditions Lettres de Renaissances, Paris-Dakar

Entre l’aube et le crépuscule, roman, éditions Africamoude, Rabat-Maroc & Lettres de Renaissances, Paris-Dakar

Le souffle du fleuve, poésie, éditions Lettres de Renaissances, Paris-Dakar

 

Africamoude et Lettres de Renaissances : un partenariat éditorial en faveur des littéraires africaines

La collaboration éditoriale entre deux maisons d’édition panafricaines, Africamoude, basée à Rabat au Maroc, et Lettres de Renaissances, située à Dakar au Sénégal et à Paris en France, est née de la nécessité de renforcer la visibilité de la littérature africaine contemporaine. On sait que la création littéraire et la diffusion des œuvres en Afrique sont encore trop confidentielles pour permettre l’émergence d’une production forte et novatrice au niveau continental et à l’échelle mondiale. Cette collaboration de deux maisons d’édition africaines répond au besoin de mieux faire circuler les écrits et les imaginaires, et relève le défi de l’indépendance culturelle en ouvrant un espace de publication aux différentes voix littéraires du continent premier. La valorisation du patrimoine historique africain comme objet de création, de réflexion et de progrès est l’une des préoccupations communes des deux maisons d’édition. Toutefois, mettre en avant l’histoire, la mémoire, la créativité africaine et proposer des textes littéraires inspirés des réalités africaines ne sont en aucun cas synonyme d’enfermement culturel, comme cela peut parfois s’observer dans une certaine production internationale, détenue par des groupes à l’influence exclusive.

Cette collaboration éditoriale Sud-Sud est un pari sur l’avenir. Son objectif est de faire découvrir de nouveaux talents, de dynamiser la production et à la diffusion des livres partout en Afrique et au-delà, afin de mettre en avant la multiplicité des trajectoires, de laisser parler les timbres d’une littérature qui a son mot à dire et de proposer un axe culturel en faveur de la renaissance africaine. Le déploiement des supports numériques et leur capacité de diffusion sont des atouts supplémentaires pour concrétiser cette vision.

Cette alliance est un croisement littéraire panafricain qui donne un élan à deux volontés éditoriales réunies dans un même combat. Que cette union entre Africamoude et Lettres de Renaissances soit le commencement d’une longue et belle aventure, scellée autour de nos valeurs communes, celles de l’épanouissement des lettres africaines !

Le premier volume de cette coédition, à paraître en septembre 2024, est le roman Entre l'aube et le crépuscule d’Amadou Elimane Kane, écrivain et poète originaire du Sénégal. C’est un récit littéraire qui répond à la question de la transmission de la mémoire africaine tout en éclairant une problématique très contemporaine, celle de la manipulation politique et de la répression citoyenne, véritable gangrène universelle, devenue aujourd’hui l’unique perspective pour l’humanité. Le roman d’Amadou Elimane Kane est une réponse littéraire au défaitisme ambiant. La narration y est hybride, reliant une réalité prosaïque qui détruit la mémoire, le passé et l’espérance à une prose poétique qui rétablit la vérité et la force de l’humanité.

Africamoude : africamouderevue@gmail.com - https://africamoude.com/

Lettres de renaissances : editionslettresderenaissances@yahoo.fr -http://www.editionslettresderenaissances.site-fr.fr/ 

Dans le roman Entre l‘aube et le crépuscule de Amadou Elimane Kane, la République des Samba Kounkandé est l’expression révélatrice de la condition humaine, une conjoncture que l’on peut reconnaître quelles que soient les sociétés et quelles que soient les époques.

Le pouvoir absolu, la trahison, l’accaparement, le mensonge d’État, la tyrannie, le népotisme, l’impunité, l’anéantissement des peuples soumis à des êtres contre-nature sont des données universelles. Pensons aux dictatures du XXe siècle et à celles qui perdurent de par le monde, où la justice et l'administration sont instrumentalisées pour des intérêts uniques et illégitimes et où la compassion n’existe plus, et nous avons une photographie sinistre de l’Humanité, destructrice, oublieuse du passé et effaçant la trace des massacres.

Par le prisme de la littérature, Amadou Elimane Kane convoque l’idée selon laquelle la liberté n’est jamais totalement et durablement acquise. Il semble nous dire que l’entente est éphémère et que les résistances à l’injustice sont à mobiliser partout et toujours.

Amadou Elimane Kane nous dit que la République des Samba Kounkandé et tous ses équivalents doivent être neutralisés pour défendre la dignité en tout temps et en tout lieu.

Couverture entre l aube et le cre puscule

L’Ami dont l’aventure n’est pas ambiguë d’Amadou Elimane Kane ou la conscience des valeurs de l’éthique

Le récit de L’Ami dont l’aventure n’est pas ambiguë n’est pas une chronique de plus sur la trajectoire d’un immigré qui cherche désespérément à rejoindre l’Europe comme seule possibilité pour assouvir un rêve commun à beaucoup de jeunes africains. C’est l’histoire, en deux temps, de ce dont l’homme, la femme déterminé(e) est capable d’accomplir, en bien comme en mal. Les deux parties qui composent le livre peuvent se lire comme un récit continu. L ami dont l aventure n est pas ambigue couv bat3

Boubacar, personnage principal, est animé d’un sens du devoir très poussé. Il fonctionne avec une volonté déterminée et dynamique, avec le rythme d’un homme en marche, un homme qui va vers l’avant, à la rencontre du monde ; un homme qui tire, par devers lui, l’amas d’espoir nourri de l’angoisse présente, et du souvenir des siens, du tissu usé de pantalons qui ont longtemps frotté les bancs de l’école, mais aussi la certitude d’un soleil nouveau qui brillera sur les cendres de ses doutes. 

Quand Boubacar brûle son passeport au milieu du Sahara, il confie au hasard le sacrifie d’une mère ternie par les tracas de jours maigres. Mais la vie n’est pas un hasard. Il lui faudra travailler dur en France pour réussir et pouvoir rentrer au pays natal auprès des siens.

En miroir, il y a le récit de Samba Diallo, dont la carrière politique est l’incarnation d’une logique prédatrice qui constitue une rupture avec l’idée de don de soi qu’impose le service public et justement l’engagement pour des valeurs panafricaines et de justice sociale. En somme, il est une métaphore du désabusé postcolonial, de l’engloutissement du potentiel de tout un continent et de ses ressources vitales par une poignée d’hommes égoïstes, rapaces et cyniques. Pour Amadou Elimane Kane, une décolonisation mal faite aura produit, entre autres phénomènes, une classe de saccageurs de patrimoine dont la démarche repose sur l’abrogation de toute retenue et de toute décence. 

Le récit met ainsi en parallèle plusieurs trajectoires à l’épreuve de la Vie. Il reprend le thème de la confrontation des cultures de Cheikh Hamidou Kane mais àpartir d’un autre paradigme, celui de l’éthique. Car il s’agit de comprendre un choc de valeurs comme étant le socle du malaise, ou du travers (c’est selon) qui anime les différents personnages. Ces derniers, malgréleurs différences, sont assez attachants.De Mariam Asta qui s’épanouit comme une fleur à travers les petits apprentissages à Samba Diallo qui sombre dans l’aveuglement malgré sa grande perspicacité. Finalement, ce ne sont pas des personnages qui sont mis en récit mais une époque, ainsi que des catégories d’humains.

La deuxième partie du livre est une promenade lyrique et une découverte des états de l’âme de Mariam Asta, femme pensive et rêveuse dont la richesse, l’intensité de la vie intérieure invite à renouer avec les échos brumeux d’un passé séculaire qui s’insinuent silencieusement dans les méandres de la pensée.

La vie de Boubacar en particulier suscite un flot d’interrogations pour Mariam Asta, mais révèle aussi une peur informulée que son jeune garçon à elle puisse être tenté, tout comme Boubacar plusieurs années auparavant, par le chemin de la séparation et de l’exil. Car Mariam Asta éprouve une grande difficulté à établir un rapport entre, d’une part cet esprit complexe marqué par des tiraillements qui vont au-delà des contradictions d’une appartenance fragmentée à des cultures différentes, et d’autre part, l’ami d’enfance qui a puisé à la même source de vie. Mais si tiraillement il y a, c’est un tiraillement apaisé,  «une chance plutôt qu’un malaise » (p.133), l’aboutissement d’un débat intérieur qui n’est jamais résolu et n’a peut-être pas besoin de l’être. Dans cette deuxième partie, la raison de la fiction est renversée dans le sens où Mariam Asta, être en apparence faible et dominé, se donne effectivement les moyens d’agir contre les attentes des lecteurs.

En relisant L’Ami dont l’Aventure n’est pas ambiguë, je ne peux m’empêcher de repenser aux bienfaits de la lecture comme acte de reconstitution. La spécificité de la lecture réside dans le fait qu’elle donne accès à la mémoire d’une manière différente à d’autres modes d’accès à la connaissance de soi, des autres et de son rapport au le monde. En découvrant un livre, on se découvre également. Amy niang 3

Le contraste des personnages de Boubacar, avide de livres et des connaissances qui en découlent, et de Mariam Asta dont l’éducation orale limite les modes d’accès aux mêmes connaissances est assez saisissant. Il ne s’agit pas ici de poser le simple rapport du lettré par rapport à l’illettré, mais de noter l’importance de codages multiples mis en jeu: l’auditif et l’autographique mais aussi le visuel, la combinaison de plusieurs modes donnant accès à différents aspects de l’être et de la mémoire. Mariam Asta est obligée de multiplier les instruments d’accès autres qu’autographiques. La conscience de soi, elle s’en rend compte, passe forcément par les autres. L’accès à soi est possible selon le degré de disponibilité de l’individu par rapport aux autres. En l’occurrence, la réticence de Mariam Asta à laisser partir son fils dénote une autre réticence, à reconnaître la singularité de celui-ci, en tout cas au début, avant de reconnaître petit à petit le besoin de celui-ci de se chercher au-delà du cadre moral maternel. À travers cette concession certes douloureuse, Mariam Asta reconnaît le désir de son garçon d’élargir le monde par le départ, comme dirait Sony Labou Tansi, afin de s’approprier l’essentiel.

L’Ami dont l’Aventure n’est pas ambiguëest le genre de livre auquel on revient souvent, comme une invitation chez un vieil ami, pour prendre des nouvelles de nous-mêmes et de notre époque postcoloniale, un monde qui peut parfois paraitre désespérant parce que répétitif mais Amadou Elimane Kane montre, en la personne de Boubacar, qu’il est loin d’être irréversible.

Pour Amadou Elimane Kane, le choix de Samba Diallo de trahir son peuple n’est en fin de compte ni un hasard ni un dépit, c’est une cohérence qui renvoie l’individu à lui-même. Parce que l’individu est responsabilité.

En contraste, Boubacar, cette « ombre invisible, perdue sur la route, sans attache, sans nom » (p.131) avait su mettre à profit les courants divers qui l’ont traversé. Il garde toujours cette capacité de surplomb, un souffle égal qu’il tire de ses expériences diverses pour dire les évidences qui échappent dans un monde où le mimétisme souvent règne en maître. Boubacar est un esprit qui observe, qui écoute, qui s’autorise aussi de s’emporter envers les êtres qu’il aime. Le ton est parfois naïf. Pour autant, il ne verse jamais dans l’abattement. Il faut dire que l’horizon dans lequel l’auteur et son livre s’inscrivent est le Monde en tant que champ de lutte.

L’Ami dont l’Aventure n’est pas ambiguë est un récit large, au souffle long, un récit construit, qui échappe à l’auto-complaisance, à la nostalgie béate et au ton péremptoire quoiqu’on détecte forcément dans sa méthodologie, c’est à dire une pédagogie de l’humain médiatisée et tempérée par la poésie—un souci de convaincre. C’est un récit qui mélange le conte lyrique, l’autobiographique romancé et l’essai sociologique sur un ton jamais suffisant mais une langue exigeante qui cherche à dire la valeur juste. Peu importe finalement le genre, l’impossibilité de l’exercice taxonomique s’applique aussi bien à la forme qu’au fond. 

Ainsi le livre est un manifeste qui s’inscrit, logiquement, dans une trajectoire de militantisme intellectuel et pédagogique, particulièrement la tradition du « prophétisme » panafricain si profondément ancré dans le champ intellectuel transatlantique. Cette tradition est présente chez beaucoup d’écrivains africains tels que Tchicaya Utamsi, Ahmadou Kourouma, Birago Diop et bien d’autres. Amadou Elimane Kane s’inscrit dans cette tradition durablement, avec grande consistance. Il nous invite également à un dialogue intergénérationnel à travers des personnages qui n’interagissent pas forcément d’une manière prévisible. 

Amy NIANG, écrivain et chercheure en sciences politiques 

Lire et penser par Lilyan Kesteloot : Une si longue parole d'Amadou Elimane Kane

Voici l’histoire très édifiante d’une fille de pêcheur d’un village proche de Yenn, station semi-touristique au début de la Petite Côte, comme Toubab Dialaw plus fréquenté par les (hauts) fonctionnaires de Dakar. Sali Portudal et ses grands hôtels est nettement plus loin et envahie par les flots d’étrangers avides de soleil et d’eau chaude que chaque hiver déverse par pleins charters sur le Sénégal.

Mais la vie de Fatimata et sa famille se passe très loin de cette agitation. Dans le bourg habité uniquement par des pêcheurs, le père de Fatimata gagne difficilement son poisson quotidien, avec l’océan capricieux et les vents variables et la pêche de jour en jour moins abondante. Tout le monde sait les ravages sur nos fonds marins que produit la pêche à outrance des chalutiers chinois et européens au large de nos côtes. Les premières victimes sont ces petits pêcheurs traditionnels qui n’ont que leur pirogue, leurs filets et leurs mains.

Logeant à sept dans une pièce, la famille de Fatimata survit plus qu’elle ne vit, de la pêche du père et du travail de la mère. Celle-ci fait sécher au soleil les poissons qui restent quand la prise est bonne, et elle va les rendre au marché lorsqu’ils sont secs et incorruptibles. Cette lutte incessante de sa mère contre la corruption est assez symbolique de celle que devra mener la future avocate Fatimata car cette petite fille plus que pauvre, pourra tout de même fréquenter l’école gratuite, située à 4 kilomètres à pied. Puis le collège (à 3 km), enfin le lycée. Et vu ses excellents résultats et l’appui de ses professeurs à obtenir une bourse qui la propulse sur le campus de l’Université.

Un presque miracle ? Non. Seulement la chance d’être la cadette et donc d’avoir pu échapper au sort des filles ainées obligées d’office « d’aider à la maison ».

Voici donc Fatimata étudiante, toujours aussi studieuse, qui réussit son Droit et rejoint le cabinet d’avocat d’une collègue déjà installée. Entre temps l’amour l’a rencontrée sous les traits d’un brillant étudiant, déjà leader politique du Parti de son père, opposant notoire au gouvernement de l’époque. Mais, au fait à quelle époque sommes-nous ? C’est très clair. D’après la description de Fatimata (car c’est elle le narrateur de son histoire) ce sont les années Wade.

 

Le jeune Bii Laamdo, ayant épousé Fatimata, le roman s’oriente désormais vers la politique et ne la quittera plus. On s’aperçoit que, en réalité Bii Laamdo n’est rien de moins que le « double » de Karim, fils de qui vous savez ! L’auteur nous plonge alors dans l’histoire vraie et la décrit sans complaisance. Depuis la joie d’avoir gagné les élections et de voir son beau-père accéder au pouvoir, jusqu’à la dérive de ce même personnage et de son entourage vers tous les excès, enrichissements et transgressions que la presse et le peuple dénoncent quotidiennement.

Fatima assiste, impuissante au changement de son mari qui abandonne ses convictions idéalistes pour une coupable « dolce vita ». Sous la pression du clan au pouvoir, il participe à d’énormes escroqueries ; et tout cela fera tomber le gouvernement. Voilà Bii Laamdo en prison, et son père exilé. Il demande à Fatimata son épouse d’être son avocat, et de le défendre au procès qui doit le juger. Elle refuse, malgré son amour, mais son culte de la justice et de la vérité l’emportera sur ses sentiments personnels. 

Conflit cornélien s’il en est ! sauf qu’il n’y a pas de morts.

Il faut lire ce roman exemplaire de bons principes, explicitement dédié à la « jeunesse ». C’est la « leerstücke » de Bertolt Brecht, le livre de la bonne conduite du citoyen et de la citoyenne.

Roman d’apprentissage-type, c’est à la fois son intérêt et son défaut car ces bonnes intentions de l’auteur, et leur application sans failles de son héroïne paraissent peu vraisemblables.

Quant au style, il se caractérise par une  écriture relativement uniforme, qui privilégie les métaphores  communes plutôt que la recherche d’images audacieuses, et dont la trame  est entrecoupée de « poèmes » à forte teneur moralisante ; tout cela donne un récit assez convenu. Mais néanmoins, récit didactique riche en enseignements ,avec des anecdotes familières aux Sénégalais écrites dans un français facile et fluide. On peut sans danger, proposer ce roman aux jeunes et aux femmes surtout, qui prennent conscience de leurs responsabilités politiques et morales.

                                            Lilyan KESTELOOT 

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Parution de Potré-Potré, portraits créoles par Alain Rutil

Couv alain rutilPÒTRÉ-PÒTRÉ A...

Portraits créoles, Alain Rutil
ANTHROPOLOGIE, ETHNOLOGIE, CIVILISATIONTÉMOIGNAGE, AUTOBIOGRAPHIE, RÉCIT MONDE CARAÏBES Guadeloupe, éditions L'Harmattan, avril 2017

Cet ouvrage est un recueil de 42 portraits de gens ordinaires, chargés de certains attributs de la société guadeloupéenne. Il permettra de se regarder dans le miroir non déformant de la complexité des relations, dans la riche mosaïque de la langue et de la culture du Pays Guadeloupe. Le lecteur y trouvera son compte de réalités épiques, d'une langue généreuse, expression d'une culture faite d'aliénations, d'assimilations, mais aussi de résistances créatrices. Tous ces portraits qui nous sont offerts expriment autant le plaisir que la douleur des relations humaines. (Ouvrage en créole)

Pour plus d'information, cliquez sur le document : Potre document promotionnel alain rutilPotre document promotionnel alain rutil (2.77 Mo)

Sonny Rupaire ou la créolité poétique

Il existe des rencontres poétiques qui n’exigent aucun préambule, qui se révèle comme une évidence éclatante. Comme il n’est pas d’âge pour faire une véritable découverte littéraire emblématique. Dans la force de l’âge et ayant arpenté de nombreuses terres et de nombreux rivages, me voici revenu en terre guadeloupéenne avec un nouveau chant poétique, celui de Sonny Rupaire, le poète absolu de la révolte, de la fragilité et de l’engagement. Initié par Ronald Selbonne et par son livre puissant Sonny Rupaire : Fils inquiet d’une igname brisé, publié aux éditions Jasor, j’entre en connivence avec le poète de la créolité dont la poésie parvient en écho à mon verbe et à mes propres interrogations sur l’art et sur la nécessité de la littérature à être engagée. Rupaire10

Né en 1940 en Guadeloupe, Sonny Rupaire est un homme-poète insoumis, épris de liberté et de justice, engagé dans des combats universels en Algérie, à Cuba et en Guadeloupe, pour la reconnaissance culturelle des peuples spoliés, martyrisés, ensevelis par la domination mensongère. Comment ne pas entendre cette parole profonde inscrite sur les terres caribéennes ? Et comment ne pas voir que sa poésie et son  serment à défendre l’opprimé, forment un être infini et libre, une entité profonde qui questionne le monde ? Comme le souligne Ronald Selbonne dans son introduction, « sa poésie, c’est sa vie. Sa vie, c’est sa poésie », et comme le définit lui-même Sonny Rupaire « La poésie n’est pas une spéculation idéaliste ». Et je partage amplement cette idée que la métaphore poétique ne sert qu’à transmettre un message, à dénoncer, à dire là où l’horreur est bassesse et haine, pour bousculer sans cesse les déterminismes, pour foudroyer les injustices et pour partager les beautés de la terre et des êtres afin de rétablir la vérité abyssale des douleurs de l’histoire.

La poésie de Sonny Rupaire est de la veine littéraire des plus grands, puissante, libre, provoquant des ruptures permanentes, tout en contenant des allégories splendides où la nature, omniprésente, est le témoin de la cruauté qui existe entre le crime et l’essence première de la terre. La force vient aussi d’un esthétisme langagier singulier, allié à la langue créole, aux sonorités musicales qui puisent leur source au sein de l’histoire culturelle hybride des Caraïbes. Le souffle qui se déploie, qui se dit, contient l’oralité ancestrale de l’Afrique et de ses réminiscences enfouies mais jamais abandonnées. Car celle-ci a la capacité de résonner malgré le temps, malgré l’espace, malgré les mystifications. La poésie de Sonny Rupaire est l’oralité incarnée par les sons, le rythme et les images sublimes qui la composent. Toutes les symboliques ensemencées de la terre sont explorées pour mieux transcender l’imaginaire et personnifier l’histoire culturelle à travers une géographie photographiée de l’intérieur, sondant les racines pour faire éclore la renaissance. La flamboyance des arbres et de leurs couleurs plurielles, filao, gommier, palmier, cocotier, poirier, arbre à pain ou encore la sève pulpeuse de la canne à sucre et du cactus faite de sang-mêlé. 

C’est aussi parce que la poésie de Sonny Rupaire se charge en profondeur, en cherchant les traces profondes d’une identité malmenée, méprisée, bafouée, annihilée. Alors il déterre l’humus pour mieux cultiver les origines et la sève poétique purifiée du sang versé par l’esclavage, la colonisation, l’exclusion des DOM-TOM de la nation française, amie et ennemie, faisant figure toujours de celle par qui la mort arrive. Cette poésie est également celle d’une rébellion infatigable qui ne prend sa source qu’à travers une liberté recouvrée et perpétuellement à reconquérir. Comme le dit Sonny Rupaire, la poésie est le témoin d’une histoire sociale, d’une époque, des interactions humaines, qu’elles soient apaisées ou discordantes. Ce n’est pas étonnant que sa poésie, si féconde mais toutefois rare par son unique recueil intitulé Cette igname brisée qu’est ma terre natale, soit étudiée au collège, au lycée et à l’université car elle propose une ouverture didactique transversale des lettres, de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique et citoyenne. Quel talent multiple foisonnant en une seule œuvre poétique ! Ronald selbonne

L’ouvrage colossal de Ronald Selbonne est un pavé littéraire impressionnant, véritable document source de la vie, de l’œuvre et des luttes de Sonny Rupaire et c’est un livre littéraire, poétique et pédagogique majeur dans le paysage littéraire antillais. Les contributions de Maryse Condé, de Patrick Chamoiseau, de Christiane Taubira, de Max Rippon, d’Henri Melon et de tant d’autres analystes littéraires, écrivains mais aussi artistes, ajoutent des témoignages puissants à la poésie primordiale, talentueuse et solide de Sonny Rupaire. En écho à notre aîné martiniquais Aimé Césaire, Sonny Rupaire inscrit sa singularité dans les lettres de son époque, une poésie toute en révolte, attachée à son parcours, à sa réflexion, à sa sensibilité. Il rejoint ainsi le panthéon poétique créole majeur du XXe siècle. Et je pense à son magnifique poème Les Dameurs[1] qui me bouleverse. Et pour célébrer notre symbiose, je poétise pour lui, pour son œuvre, pour son idéal, pour sa mémoire.

Battez battez le tam-tam de lumière

Pour éveiller la liberté qui sommeille

Dans les terres de votre Fouta natal

De votre Congo natal

De votre Soudan natal

Dans les terres de votre Nubie natale

Comment voulez-vous

Que je me soumette

Amadou Elimane Kane, écrivain poète, lauréat du Prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé 2016, catégorie poésie pour le caractère pédagogique de l’action poétique de l’ensemble de l’œuvre et Fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Sonny Rupaire : Fils inquiet d’une igname brisée (Guadeloupe – Algérie – Cuba – Gwadloup), sous la direction de Ronald Selbonne, anthologie documentaire, éditions Jasor, Guadeloupe, 2013

 


[1] Frappez, nègres, frappez, au rythme de vos cœurs, sur les lourds pavés gris, au rythme de la haine, frappez toujours, cachez la peine, cachez la peur à vos géreurs.
Gardez le front baissé pauvres têtes crépues, creusez le long chemin sous l’aride soleil, pas de repos, pas de sommeil, souffrez dans vos poitrines nues.

Les Dameurs, Sonny Rupaire, 1957

Paul Mounsamy, des idées et des mots pour la transmission des belles trajectoires indiennes

Il existe plusieurs manières de raconter l’histoire. Cela peut être un récit inspiré de la réalité qui s’inscrit dans la fiction, cela peut être de la poésie, ou encore un roman ou un essai historique. Paul Mounsamy a choisi de célébrer la mémoire d’évènements historiques en publiant des discours qu’il a prononcés à différentes périodes de sa carrière dans le cadre de ses responsabilités éducatives, associatives et citoyennes. Paul mounsamy 001

Entremêlant la grande histoire à une forme de commémoration plus intime, Paul Mounsamy a construit un carnet documentaire passionnant, dédié à l’histoire de la Guadeloupe et plus largement au récit de l’esclavage et de ses abolitions, à l’immigration indienne et à la culture plurielle réunissant l’Inde et les Antilles. Et c’est là où ce travail nous interpelle et mérite une attention toute particulière. Des idées et des mots, recueil mémoriel du discours et de la parole, propose une vision peu commune de ce que constitue notre tissu personnel qui vient se confronter à l’histoire. C’est une sorte de prisme universel qui parle à tous et qui inscrit l’interaction des hommes avec l’histoire pour la postérité. Ce qui est particulièrement remarquable aussi, c’est qu’il nous parle notamment d’une histoire méconnue, celle de l’arrivée des Indiens sur l’île guadeloupéenne.

Un proverbe africain dit ceci : Le soleil n’ignore pas un village parce qu’il est petit. L’ouvrage de Paul Mounsamy contient cette générosité de l’écoute, de la parole et de la trace mémorielle, comme un patrimoine identitaire et culturel qu’il est indispensable de partager. Cette vision plurielle est le propre de la pensée zoulou, Je suis grâce à ce que nous sommes, et l’ouvrage de Paul Mounsamy résonne de cette idée. Par ses fonctions de pédagogue émérite, Paul Mounsamy a compris aussi que la transmission de ce patrimoine est capitale pour former les générations futures, avec en toile de fond la connaissance de soi pour s’assurer un avenir. Cette articulation entre passé, présent et avenir fait œuvre et souligne le regard poétique et humaniste de l’auteur.

« Tout peuple a besoin de son passé, de sa mémoire, de ses traditions. Tout peuple a besoin de magnifier ses héros, de créer ses mythes, pour se constituer, pour exister et avoir une conscience claire de son identité […] »

À travers ce recueil de discours et de commémoration, Paul Mounsamy nous dit qu’une société est toujours multidimensionnelle et qu’elle se construit sur la base des va-et-vient culturels inhérents aux trajectoires humaines. Sur aucune terre de la terre, il n’existe une communauté endogène sans partage culturel, cela relève d’une construction idéologique qui enferme les êtres. La réalité est que chacun se bâtit dans le regard de l’autre, avec plus ou moins de compréhension, créant parfois des frictions dramatiques ou violentes. Mais ce qui demeure important est que les hommes sachent reconnaître les autres comme entité vivante et vibrante relevant de l’histoire de l’humanité. À l’écoute de l’histoire multiple de la Guadeloupe qui réunit les racines africaines et l’impérialisme français donnant lieu à la créolité, se trouve aussi l’empreinte indienne, cette culture millénaire et nullement secondaire qui a parachevé l’histoire antillaise.

La pensée Ubuntu, je suis parce que tu es, trouve ici tout son sens littéral et le travail mémorable de Paul Mounsamy est une découverte formidable dans nos cheminements culturels, historiques et humains. À travers le récit de ses discours et de sa pensée, Paul Mousamy nous fait également partager son propre parcours qui fait écho à nos exils, à vouloir apprendre, à vouloir s’approprier l’identité plurielle qui le caractérise, appréhender cette triple culture, indienne, créole et française et à fouler la terre qui s’étend à ses pieds.

« Les nomades forcés ont besoin, plus que d’autres, d’acquérir la terre pour se fixer par sécurité et pour la tranquillité ».

Ainsi le recueil de Paul Mounsamy est une belle trace culturelle faite de modestie, de générosité et pourtant il est foisonnant de références historiques, de pensée et de progrès. C’est un homme qui fait acte de transmission pour éclairer nos visions et nos horizons.

À le lire, je suis sur le rivage de l’espérance, traversant une géographie plurielle, multiple qui m’apaise et ses mots, je les porte en bandoulière marquant la signature de notre unité humaine et fraternelle.

Amadou Elimane Kane, écrivain poète, lauréat du Prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé 2016, catégorie poésie pour le caractère pédagogique de l’action poétique de l’ensemble de l’œuvre et Fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Des idées et des mots, Paul Mounsamy, recueil, éditions Nestor, Guadeloupe, 2016

Ndèye Fatou Kane : Le malheur de vivre dense d’esthétisme

NdeyefatoukaneLa littérature romanesque peut parfois rendre le réel implacable à travers le prisme de l’écrit. La fiction, toujours en proie à provoquer le bouleversement, se révèle parfois aussi cruelle que la réalité sociale. Le roman de Ndèye Fatou Kane, Le Malheur de vivre, est de cette veine, fictionnel mais très ancré dans le réalisme d’une aventure imaginaire qui tourne mal.

Le postulat est simple et efficace. Une jeune fille, Sakina, belle et promise à un bel avenir, vit à Paris entre ses études et ses parents qui tiennent un commerce. Chaque été, tous les trois se rendent au Sénégal pour retrouver leur famille et leurs racines, distantes par le temps de l’exil. Lors de cette période de « retour au pays natal », Sakina s’éprend d’Ousmane, un jeune homme sans repères et dont les intentions se révèleront dévastatrices pour Sakina et sa famille.

Le récit est mené efficacement par un style précis et beau qui nous raconte la société Hal pulaar du Sénégal. La bonne idée du roman est que l’intrigue se situe dans les années 1980, avec le décor d’une vérité sociale et culturelle toute en apparence, mais dont les préoccupations existentielles s’avèrent intemporelles et universelles. Par cette histoire, l’auteur nous raconte l’initiation d’une jeune fille aux épreuves de l’amour, une initiation qui tourne mal et qui installe un drame familial irrémédiable. Ndèye Fatou Kane sait dessiner cette époque avec des personnages incarnés et bien campés, figures auxquelles le lecteur s’attache, tout en pressentant le ressort dramatique qui se noue. 

La volonté imaginative de l’auteur se situe à cette intersection, tous les codes du romanesque sont bien maîtrisés avant de les réduire à néant par une intrigue qui déjoue l’inattendu. Par son écriture classique et précise, Ndèye Fatou Kane parsème son récit de référents culturels Hal pulaar, en faisant tinter la langue originelle qui apporte une musicalité attachante. Par un subterfuge qui relève de la fable, elle travestit une réalité sociale et culturelle qui donne à réfléchir et qui pose au centre la question des valeurs humaines.

Ainsi la destruction mentale aurait le dernier mot sur la sincérité, l’amour et le juste. C’est en cela que le roman de Ndèye Fatou Kane marque la littérature africaine, par son caractère dénonciateur qui met en lumière les dérives d’une société en proie à l’accaparement et à l’absence de perspectives et de vision.

En cela, le roman de Ndèye Fatou Kane est une véritable découverte et qu’il faut ouvrir comme la narration d’un réalisme social dévastateur. L’épilogue du récit laisse à penser que Sakina devra se relever de ses erreurs. Il ne reste plus qu’à Ndèye Fatou Kane d’en écrire la suite…

Amadou Elimane Kane, écrivain poète, lauréat du Prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé 2016, catégorie poésie pour le caractère pédagogique de l’action poétique de l’ensemble de l’œuvre et Fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Le malheur de vivre, Ndèye Fatou Kane, roman, éditions L’Harmattan, Paris, 2014

Tanella Boni ou la poésie absolue

Il est des poésies majeures qui, contre les tragédies crépusculaires de nos horizons, foudroient les murs de l’ignorance, les murs de haine et de petitesse. Cette poésie-là redonne la lumière douce et apaisante aux humanités foudroyées par l’indifférence et l’oubli.

C’est tout ce que contient la poésie de Tanella Boni, dans son dernier recueil magnifique, Là où il fait si clair en moi, absolument poignant et fait avec une langue éthérée qui confine à l’absolu poétique. On connait le talent aux mille plumes de Tanella Boni mais on est toujours saisi par la justesse de son art qui lui donne cette noblesse poétique.

Ses textes, écrits sur un rythme très stylisé et très épuré, sonnent avec une grande profondeur, ponctués d’une lente retenue qui nous imprègne de toutes les images de ces va-et-vient poétiques. 

Car il est bien question encore une fois d’exil, ce « mot détestable qui prend aux tripes », de douleurs, d’incompréhension face aux éternelles injustices. Il s’agit d’exclusion donc, celui de la poétesse d’abord, et ce moment du retour « au pays natal » et où le deuxième exil se bâtit tel un nouveau mur à franchir.

« Je traverse un pays sensible

À la couleur de la peau

J’ai l’impression de vivre au XIXe siècle

L’humanité en détresse

N’attend pas la clarté des mots

Pour nommer l’innommable »

Mais il est question aussi de tous les exils, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain qui frappent les êtres qui fuient la guerre, la misère, le danger et qui ne cherchent qu’à survivre au milieu des décombres, du gâchis organisé par les mains avides de ceux qui prônent la violence, la barbarie, l’argent, la religion extrême, le pouvoir, le sang.

Oui, Tanella Boni contient, dans son art poétique, toute sa révolte et son refus d’accepter l’inacceptable.

« Ils ont quitté leurs pays

Le cœur en bandoulière

Et leurs peaux en lambeaux

Gardent encore

Un silence indéchiffrable

Collé aux fenêtres

Des grandes illusions

Que les bien-pensants

Acclament à bras ouverts »

Par cette poésie ultime, nous sommes liés, par ces mots qui engagent une humanité à retrouver, nous sommes unis. Nos armes à nous les mots, comme elle l’écrit si justement.

« Seuls les mots te proposent

La longue marche

Vers la dernière oasis

Où étancher ta soif […]

Les mots sont mes armes préférées

Mots qui font la fête

Sur la parcelle où je veille

Au large de ma tête sentinelle »

Car Tanella Boni somme les êtres, tous les êtres à voir, à regarder, à écouter ce qui se passe dans les meurtrissures des prisons, des barbelés, des camps retranchés, cette liberté lacérée chaque jour par l’ignorance, la lâcheté, le racisme qui tue et achève l’espérance.

« Le ver est dans le fruit                                   Tanella boni

Depuis toujours

La vérité de l’humanité est ailleurs

Ici même

 

Inscrite sur la peau de couleur

Comme si la vie ne possédait

Qu’une seule couleur

Dans un monde si divers »

La poésie est donc ici l’ultime espoir quand tout a été tenté. Et le monde doit reformer cette ronde arc-en-ciel qui vogue au-delà des frontières, au-delà des discours préfabriqués, vides de sens et d’humanité.

« Le mot m’a donné la clé du monde

J’ai appris à grimper jusqu’au ciel

Sans dessiner ses rives sur lesquelles

J’imagine des moutons se noyer

Dans la mer »

Nous sommes tous pris dans ce moment où le monde a déployé une cadence infernale, incontrôlable, qui cherche à anéantir les beautés plurielles pour diviser l’humanité dans un chaos de douleurs, issu d’un autre temps qu’il faut désormais combattre jusqu’au dernier bout de souffle. Car la poétesse Tanella Boni nous le redit dans tout son verbe lumineux, incandescent, une parole qui transperce nos consciences parfois paresseuses, parfois aveugles.

La poésie de Tanella Boni sert à recouvrer la vue, à redire les mots qui comptent, des paroles qui vont puiser à la source originelle, qui font appel à la mémoire, à l’épaisseur de la chair, à l’histoire culturelle ancestrale faite de paix et que l’on ne peut pas détruire à coup de bombes, à coup de haine, à coup de balles, cette histoire de l’humanité qui est le lien de notre renaissance, de notre survie, la beauté, la paix et la parole ainsi réconciliées.

« À chaque mot échappé

Au seuil du silence

Gardé en toute dignité et majesté

Les femmes se souviennent de l’air libre

De Tombouctou leur ville-mémoire »

Et en fermant les pages de ce magnifique recueil aux lumières crépusculaires, je pense à l’aube naissante, et à la mélopée  de Tanella Boni qui revient…

« Nous sommes Bassam et bien plus

Nous sommes Bassam et bien plus

Nous sommes Bassam et bien plus… »

Amadou Elimane Kane, écrivain poète, lauréat du Prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé 2016, catégorie poésie pour le caractère pédagogique de l’action poétique de l’ensemble de l’œuvre et Fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Là où il fait si clair en moi, Tanella Boni, poèmes, éditions Bruno Doucey, Paris, 2017 

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La langue des oiseaux

Les soleils de nos libertés, d’Amadou Elimane Kane parle la langue des oiseaux. Mais qu’est-ce que la langue des oiseaux ?Aek m2
La langue des oiseaux est la technique de cryptage et de décryptage, donc de compréhension en profondeur de la langue. On entend les mots mais on ne les entend (comprend) pas. Inexprimable par les mots ou la voix, elle transmet du sens par les symboles. Selon, les initiés, cette langue serait à l’origine des autres langues.
Symbolique, elle forme l’univers poétique. Et les poètes l’ont deviné.
« On ne vit pas longtemps comme les oiseaux dans l’évidence du ciel, et retombé à terre, on ne voit plus en eux précisément que des images ou des rêves » (Philippe Jaccottet)
« Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » (Baudelaire, L’albatros)
« Ses secrets partout qu’il expose
Ce sont des oiseaux déguisés » (Aragon, les oiseaux déguisés)
On peut également la nommer art de la lumière.
Accoutumés à écouter les sons, les poètes entendent la langue des oiseaux. De même, ils produisent du sens par les lettres, les mots, les phrases prononcées.
Par exemple, un poète entendra la parenté entre le soleil, l’œil (vue), « Hélios », le salut au levant, « Light », la lumière, hier, air… la solitude, le sol (terre). De la terre à l’air, au « taire », au silence… Il y a une relation analogique entre les phonèmes. Une relation-étoile qui rayonne la co-naissance, solaire (Du Sol à l’Air, ou inversement… Esprit et matière… ) qu’elle porte, savoirs qui naissent les uns avec les autres, par les autres, se donnent à voir. Comme un déroulement des sens, des essences suivant une disposition fractale. La poésie, d’essence alchimique, se place comme le véhicule de la transmission des savoirs originels
D’abord poète, et conscient du pouvoir de la création poétique, Amadou Elimane Kane aborde la question d’une pédagogie de l’humain par la poésie.
Par la multiplicité de voix ou de sons qui le construisent, Les soleils de nos libertés est un roman en polyphonie. Ce terme emprunté à la musique, évoque une superposition de voix énonciatives dans un même énoncé, comme des rivières courant en direction du même fleuve. La polyphonie n’est rien d’autre qu’une figure analogique.
Quelles sont ces voix ?
D’abord, celles de la jeunesse. Dieynaba, la collégienne exilée, fille de Samba Diallo. Il y a aussi Moussa, étudiant à Sciences Po. Abdul, étudiant en France, ami de Moussa, dont la mère, dans ses lettres parle la langue des oiseaux. Tous, tournés vers l’excellence scolaire, en quête de réussite et d’une forme de perfection. Tous aussi, voués aux exils intérieurs ou extérieurs comme étapes nécessaire de l’existence humaine, comme chemin initiatique d’une vie pleinement humaine.
« désormais il avait à faire, balayer l’indigence, la malfaisance, faire table rase des paroles mensongères pour faire place à la vraie créativité, à la force des idées et des réalités concrètes pour voir enfin s’élever les lumières de la Renaissance, les soleils de toutes les libertés. » p 33
Ainsi, se développe une vision quasi platonicienne du réel. Un idéalisme qui n’a pas renoncé à s’appliquer à la vie, un idéalisme fécondant de son souffle exaltant la matière de l’existence.
« Il faut… comparer le monde que nous découvre la vue au séjour de la prison, et la lumière du feu qui l'éclaire à la puissance du soleil. Quant à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme l'ascension de l'âme vers le lieu intelligible tu ne te tromperas pas sur ma pensée… dans le monde intelligible l'idée du bien est perçue la dernière et avec peine, mais on ne la peut percevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de droit et de beau en toutes choses; qu'elle a, dans le monde visible, engendré la lumière et le souverain de la lumière que, dans le monde intelligible, c'est elle-même qui est souveraine et dispense la vérité et l'intelligence… » (Platon, République)
Plus proche de la plupart des adolescents déroutés que nous connaissons, Dieynaba, coupée brutalement de sa famille, de son pays, est plus hésitante. Elle ne connait pas sa place. Elle la cherche. Or, dans une sorte de métaphore de la jeunesse-monde actuelle, elle fera l’expérience de tous les continents, pour s’établir en Asie.
Il y a aussi les pères, comme Samba Diallo, père de Dieynaba, économiste puis politique dévoyé, soumis à ses désirs comme un chien à l’os de son maître, son ami, Boubacar, qui a bâti un institut culturel, qui observe la chute morale de Samba, s’en désolidarise, pour se diriger, tel le « héros » de l’allégorie de la caverne vers la vérité, la lumière.
Il y a les mères, courageuses, bienveillantes et sages, que des vies trop étriquées pour ce qu’elles ont à offrir à la société, amènent parfois à se montrer résignées ou hystériques.
Aussi bien, tous les personnages, ceux qui font avec leur tête, ceux qui font avec leurs mains, ceux qui font avec leur cœur ou leur ventre, sont en quête du Soleil des libertés.
Un chapitre entier du roman se déploie, est dit par la voix du poète, à l’instar de la fibre africaine qui constitue la trame de ce récit, à la fois conteur de l’histoire et voix prophétique.
« J’exige la pleine lune initiatique
J’exige mille coups de fouet
Sur les vautours
Il y a d’immenses orages
Dans mon chant » p 63
 
Par sa forme, mêlant les voix orales, internes, ou écrites et la langue chantée du poète, ou langue des oiseaux, ce récit rompt avec l’écriture classique du roman africain. Il se fait non seulement épiphanie des secrets des hommes, lueurs posées sur des destins dont il appartient à chacun de s’extraire pour en faire des chemins, mais aussi pédagogie, fil conducteur entre la caverne de l’ignorance et le soleil de la connaissance. Le roman s’achève sur un mariage, c’est-à-dire d’une union symbolique, sur l’accroissement du domaine agricole, symbole de la culture, et sur un poème, langue des oiseaux.
« Nous accèderons à la parole souveraine
Où commence le temps humain
Maternité de créativité multiple
Le chant des savoirs
De tous les savoirs » p 132
 
Par l’alchimie de l’écriture, fluide, ciselée dans une eau épurée de toute scorie, presque douce par sa discrétion savamment élaborée, l’on se sent meilleur après l’avoir lu, plus ouvert à l’espérance, entré dans une démarche de renaissance, celle de l’humanisme.

Les Soleils de nos libertés, Amadou Elimane Kane, roman, éditions Lettres de Renaissances, Paris, 2014

Anne-Marie Marcelli, poète et professeur de lettres à Paris

Daniel Biyaoula, l’œuvre sensible

BiyaoulaÉcrivain atypique, talentueux et novateur, Daniel Biyaoula a produit une œuvre qui se définit comme une littérature à part entière et non pas comme le reflet d’un folklore négro-africain dépassé. Il a imposé sa plume comme une création originale et personnelle et qui disait beaucoup du trouble de l’exil, de la complexité de la double culture et de l’identité africaine.
Sa disparition brutale nous plonge dans les abîmes de cette mortalité qui nous encercle et dont on ne se console jamais. Les mots de Daniel Biyaoula nous entrainent aussi dans les souvenirs et les heures que nous avons partagés ensemble.
La voix de Daniel Biyaoula était douce, calme comme un réconfort tandis que ses histoires littéraires étaient tonitruantes, dérangeantes et bousculant souvent plusieurs idées reçues à la fois.
Daniel Biyaoula possédait un talent de conteur allié à un sens de l’esthétique de la langue construit sur une appartenance plurielle, celle de la francophonie africaine, produisant ainsi un véritable dialogue entre l’une et l’autre culture.
C’est cette tonalité si particulière qui a inscrit sa trilogie romanesque dans le renouveau de la littérature africaine de la fin des années 90. Grand prix littéraire de l’Afrique Noire en 1997 avec son roman L’Impasse, Daniel Biyaoula avait une vraie exigence sur son travail car il considérait l’acte d’écrire comme un symbole de transcendance et de communication intellectuelle et spirituelle.
Né à Brazzaville en 1953 et venu en France au milieu des années 70 pour suivre des études de microbiologie, Daniel Biyaoula a beaucoup écrit sur la question du déracinement et sur le mystérieux déchirement d’appartenir à deux mondes plaçant l’être au plus près de la lucidité humaine. Son regard d’homme et de romancier me touchait énormément et nous avons souvent discuté de notre mélancolie liée à la terre natale si éloignée, à la fois géographiquement, culturellement et plus tard viscéralement.
Aujourd’hui dans le monde en profonde mutation qui s’éveille à nous, je pense à nos conversations, à ses paroles et elles m’accompagnent comme des vérités justes et sensibles qui vont bien au-delà de tous les discours.
Daniel Biyaoula laisse un patrimoine littéraire important dans le paysage culturel africain et sa créativité s’inscrit dans la terre fertile de notre histoire et de notre renaissance.
 
Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant chercheur
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene
 
Bibliographie
L’Impasse, éditions Présence africaine, Paris, 1996, Grand prix de l’Afrique Noire 1997
Agonies, éditions Présence africaine, Paris, 1998
La Source des joies, éditions Présence africaine, Paris, 2003

Léopold Congo-Mbemba ou la poésie infinie

Il n’y aura pas de suite à cette parole…Leopold congo
Une race nouvelle va naître, qui ne portera que son visage.
Sans ascendance, sans adoption. Sans reconnaissance, sans migration.
Niant toute aube tout de même que tout crépuscule…
Une race verticale jusque dans sa langue,
se proclamant partout chez elle.
Une race affamée, assoiffée et irascible ;
d’une impatience irrépressible revendiquant toutes les justices.
Les mots ne meurent jamais, ils sont là à chacun de nos pas, à chacune de nos respirations. Et les hommes qui font les paroles, les poètes du monde nous entourent et nous murmurent des sonorités qui transcendent.
Léopold Congo-Mbemba est un poète majeur de la littérature africaine contemporaine et il est présent dans chaque recoin de notre poésie et de notre vie. Poète ténor du beau, du sensible, du profond, il a construit une œuvre juste, puissante, inspirée d’une mémoire fuselée, une poésie au style incandescent qui capte les émotions, les blessures, les déchirures. Sa disparition nous a foudroyés mais ses mots nous traversent tels des flambeaux de beauté, tels des flamboyants écarlates.
Né en 1959 à Brazzaville, Léopold Congo-Mbemba arrive à Paris dans les années 1980 où il poursuit des études de philosophie à la Sorbonne. Directeur de collection aux éditions L’harmattan, il codirige la Géode à la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris.
Poète éclairé par une esthétique singulière, bâtissant des poèmes silex à nul autre pareil, inventant une poésie qui navigue dans l’acuité de notre mémoire collective, qui chavire notre identité douloureuse mais si féconde. Léopold Congo-Mbemba a publié cinq recueils de poésie, des trésors sertis de lumière et de grandeur. Il était aussi membre de l’Académie mondiale de la poésie pour l’Afrique francophone.
Léopold Congo-Mbemba n’était pas dans l’artifice et son œuvre en atteste amplement. Il fait partie de ces hommes qui sont poètes jusqu’au bout de leurs doigts, jusqu’au bout de leur yeux.
Nos destins se sont croisés et nous avons tant échangé, la pensée, la poésie, la vie, l’humanité. Car Léopold Congo-Mbemba était un être profondément humaniste et doué de générosité. Et nous nous sommes portés mutuellement à des moments où la poésie, les mots, notre histoire bouleversaient nos solides silhouettes d’hommes prêts à conquérir.
Mais je partage avec Léopold Congo-Mbemba cette méditation infinie faite de poésie, de mélancolie et d’espoir qui nous font tenir la parole, jour après jour, malgré l’absence, malgré les disparitions qui s’accumulent comme autant de vertiges douloureux.
 
Dans la solitude, avec les ombres, je garde les ruines…
Des soirs, dans la plainte des vents, me parviennent des nouvelles d’exil,
comme des cendres de rêves éteints ;
ou dans le chœur-ballet des migrations des oiseaux sans patrie,
comme des contes amers de corbeaux messagers.
On ne rêve que trop de retourner mourir dans ses terres... Je garde la terre
où vous reviendrez dresser
le monument funéraire...
 
La poésie est bien immortelle, elle et celle de Léopold Congo-Mbemba est éblouissante d’humanité, de sens et de profondeur. Avec elle, je peux continuer à porter mon regard sur l’horizon rétréci mais qui m’attend encore et croiser celui, parfois si grave et si noble, de mon ami frère poète Léopold Congo-Mbemba.
La terre rouge d’Afrique vole et sème dans le vent mais elle porte en elle la voix de Léopold Congo-Mbemba comme une graine de ravissement et de renaissance.
 
Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant chercheur
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene
 
Bibliographie
Déjà le sol est semé, préface d'Alain Mabanckou, L'Harmattan coll. Poètes des cinq continents, 1997 
Le Tombeau transparent (1e édition), préface de Geneviève Clancy, coll. Poètes des cinq continents, l'Harmattan, 1998 
Le Chant de Sama N'dèye, suivi de La Silhouette de l'éclair, préface de Babacar Sall, coll. Poètes des cinq continents, l'Harmattan, 1999 
Ténors-Mémoires, préface de Daniel Biyaoula, Présence Africaine, 2003
Magies, Présence Africaine, 2012

Désiré Bolya Baenga, l’inconsolé de la cruauté du monde

Bolya libong1Désiré Bolya Baenga possédait un esprit brillant de contestataire et de penseur mais il était aussi un homme sensible, profondément meurtri par les vicissitudes d’une société qu’il voulait belle et différente.
Son œuvre littéraire iconoclaste offre un kaléidoscope surprenant de l’Afrique, de ses maux et de ses remèdes. Utilisant notamment le genre du polar, Bolya par le truchement d’histoires à tiroirs, d’intrigues à suspense, croquait le monde africain de manière unique.
N’ayant jamais abandonné la révolte, il a aussi écrit des essais pour dénoncer la barbarie, les guerres fratricides, le viol des femmes, les pilleurs de l’Afrique, la corruption. Dans ce domaine, il n’a jamais perdu son degré élevé d’indignation et son opposition féroce.
Né en 1957 à Kinshasa et arrivé en France en 1977, Bolya intègre Sciences Po et devient journaliste et consultant politique avant de se consacrer pleinement à la littérature. Bercé par la justice défendue par son père, Paul Baenga, anticolonialiste et proche de Patrice Lumumba, Désiré Bolya a conquis l’intelligentsia africaine par sa culture solide, ses discours affûtés et son verbe haut. Avec son ami l’historien Elikia M’Bokolo, il a participé à de nombreux débats qui réunissaient l’élite dirigeante du continent africain. 
Son œuvre littéraire est à son image, surprenante, inattendue, usant des codes de la fiction pour trouver sa singularité ou s’emparant des sujets brûlants pour dénoncer les dérives de l’Afrique et des hommes qui gouvernent et qui font mal. En 1986, il obtient le Grand Prix de l’Afrique Noire pour son roman Cannibale dans lequel il tord le cou à l’univers romanesque de l’écrivain Joseph Conrad, considéré comme un idéologue raciste du monde noir, et propose une vraie réflexion littéraire.
Le regard de Bolya chargé d’une profonde déception, d’une tristesse infinie n’a pourtant jamais renoncé. Il voulait continuer à écrire, pour dire l’infamie, pour combattre les injustices et les violences du monde contemporain. Il nous quitte mais pas définitivement.
Je pense à sa silhouette si reconnaissable qui sillonne les trottoirs parisiens, à son visage marqué d’un sourire désenchanté et à ses mots toujours chargés de tumulte.
Profondément engagé sur la question des droits des enfants et des femmes, Désiré Bolya Baenga a su rester fidèle à ce qu’il a toujours défendu, la liberté des êtres.
Aujourd’hui, comme un ami apaisé, il arpente les rives paisibles de la liberté.
 
Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant chercheur
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene
 
Bibliographie
-       Cannibale, Editions Pierre-Marcel Favre, 1986
-       L'Afrique en kimono : repenser le développement, Editions Nouvelles du Sud, 1991
-       L'Afrique à la Japonaise, éditions Nouvelles du Sud, 1995
-       La polyandre, éditions, Le Serpent à Plumes, 1998
-       Les cocus posthumes, éditions Le Serpent à Plumes, 2001
-       Afrique, le maillon faible, éditions Le Serpent à Plumes, 2002
-       La profanation des vagins, éditions Le Serpent à Plumes, 2005
-       Le site internet consacré à Désiré Bolya Baenga : http://www.bolyabaenga.org/

Henri Pemot, un artisan de la paix et de la Renaissance

Que la conscience s’éveille – Que l’Afrique se bâtisse sur ses terres.

De nos intellectuels contemporains, Henri Pemot est assurément un observateur impénitent de la société africaine et ce depuis plus de trente ans. Henri pemot 2
Son parcours, son œuvre littéraire, ses engagements pour les causes sociales et humaines font de lui une personnalité importante de la diaspora africaine.
Né en 1960 à Pointe Noire au Congo, il quitte l’Afrique à l’âge de vingt ans pour suivre des études en France.
Informaticien et sociologue, il est sur plusieurs fronts pour ouvrir la réflexion. Formateur, consultant pédagogique, conseiller politique, enseignant en littérature et philosophie, Henri Pemot se définit comme un être libre qui peut embrasser plusieurs luttes.
Militant panafricain, il est à l’œuvre à la fois en France pour soutenir les Africains en situation précaire et difficile tout en défendant la souveraineté et la démocratie des États africains pour initier la paix et la réconciliation.
Ses combats indéfectibles marquent chez Henri Pemot une direction pleinement assumée et une constance rare.
Écrivain, poète et essayiste, il est un acteur intellectuel de notre histoire culturelle et du monde sociopolitique et dénonce inlassablement les injustices économiques, sociales et culturelles en interpellant régulièrement les grands responsables de la planète.
En 2009, il tente un coup de force en étant candidat à la présidence de la république du Congo, frappée par une dictature meurtrière, mais cet appel à un nouveau code électoral ne sera pas entendu.
À travers ses écrits, on lit également une vraie croyance en la justice et en la nature humaine. Interrogeant de manière philosophique la liberté des peuples, et celle des Africains en particulier, Henri Pemot agit pour proposer une vision nouvelle qui allie droits humains, fondement historique, culture et créativité. 
C’est de cette détermination intelligente et constructive qu’Henri Pemot incarne un penseur contemporain majeur.
Pour opérer le changement en Afrique, il propose une redistribution équitable des valeurs civilisationnelles africaines qui seraient la voie de la modernité et du développement. Cette conception s’inscrit pleinement dans la dynamique de la renaissance africaine.
Ainsi le travail, la pensée, la littérature d’Henri Pemot sont à l’image de l’homme, un homme conscient, chargé d’histoire, pétri d’une analyse qui appelle à l’espérance, tourné vers un avenir qui ne soit plus frappé de guerres mais uni vers la flamboyance, tourné vers la renaissance des terres africaines et leur profonde humanité.
 
Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant chercheur
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene
 
Bibliographie
L’Afrique qui brûle, essai, éditions Tanawa Convergence, 1997
Et si le libéralisme n’était pas le développement, essai, éditions de L’Harmattan, 2003
Terre assiégée et L’exclue, poésie, éditions de L’Harmattan, 2005 et 2006
Kimpa Vita, une résistance Kongo, roman, éditions de L’Harmattan, 2013
Mali : Lettre ouverte au Président, essai, éditions de L’Harmattan, 2013
Site Internet Henri Pemot : osons !
 

Tchicaya U’Tamsi ou la petite feuille qui parle pour son pays par Hamidou Dia

Ce texte a été prononcé lors d'une conférence à Assilah au Maroc Hamidou dia
 
Excellence, Monsieur le ministre Mohamed Benaïssa, maire d’Assila,
Monsieur Alioune Badara Beye président du jury « Tchicaya U’Tamsi » et de l’Association des Ecrivains du Sénégal,
Madame, messieurs les membres du Jury,
Cher Lauréat du prix Tchicaya U’Tamsi 2014,
Mesdames, messieurs,
Je voudrais d’abord dire mon plaisir renouvelé d’être de nouveau parmi vous, ici, à Assilah, cette belle perle du Maroc qui est un émerveillement, un ravissement enchanté du cœur et des yeux ! Avec ses jardins, ses rues piétonnes, ses parcs et ses remparts ; ses habitants si chaleureux et ses jeunes filles en fleur. Je voudrais en féliciter son premier magistrat, Mohamed Benaïssa.
Excellence, il y a 23 ans vous instituiez le prix Tchicaya U’Tamsi, votre ami et le seul ministre africain de la Culture à avoir assisté à ses funérailles, confortant ainsi les liens historiques multipliés par la géographie entre l’Afrique au Nord et au Sud du Sahara. En ce sens, Monsieur le maire, vous êtes bien un homme d’ensemencement, d’ouverture et d’initiatives.
Monsieur le ministre, Monsieur le président du jury, Madame, messieurs les membres du jury, Cher Lauréat, Mesdames, messieurs,
Il me revient l’honneur redoutable de vous entretenir de Tchicaya U’Tamsi ou la petite feuille qui parle pour son peuple. De son vrai nom Gérald-Félix Tchicaya, U’Tamsi naît à Mpili le 25 aout 1931, au Congo Brazzaville  qu’il quitte très tôt – à 15 ans – pour rejoindre son père Jean-Félix Tchicaya,  député de son pays de 1944 à 1958 au palais Bourbon.
C’est en 1957 que le jeune Tchicaya prendra le pseudonyme de U’Tamsi (celui qui parle pour son peuple) imité en cela quelques années plus tard par son cadet d’illustre mémoire, Marcel Sony qui deviendra Sony Labou Tansi.
Journaliste, il met sa plume au service de Patrice Emery Lumumba, héros africain de l’indépendance congolaise. Le lâche assassinat de ce dernier l’aura meurtri et traumatisé. La figure de Lumumba est omniprésente dans son œuvre qu’elle sature, notamment dans Epitomé qui est probablement son plus beau recueil poétique. Il revient en France et entre à l’Unesco où il demeurera jusqu’à sa retraite anticipée en 1986 pour s’occuper d’écriture,  sa seule vraie et grande passion.
Il meurt brutalement le 22 avril 1988 à Bazancourt, dans l’Oise, en France. Alors qu’il s’apprêtait à aller fêter à Lagos, Whole Soyinka, premier africain prix Nobel de littérature et laissant derrière lui une œuvre considérable et de qualité.
De cette œuvre, le professeur Joubert de l’université Paris XIII-Villetaneuse, a dit ceci, je le cite : « « Lyrisme, ironie (et d'abord envers soi-même), ellipses, ruptures des tons et des images, éclats baroques des brisures et des collages : ce seront les traits caractéristiques de tous les recueils, dont les titres, à chaque fois, refléteront l'inspiration : Feu de brousse (1957) ou la violence purificatrice ; À triche-cœur (1958) ; réponse au « comment vivre » des débuts ; Épitomé (1962), abrégé de la « passion » de Patrice Lumumba, martyr des indépendances africaines. Le Ventre (1964) se veut recherche des origines, tandis qu'Arc musical (1970) explore tous les pouvoirs de la poésie. La Veste d'intérieur (1977) montre une thématique plus intimiste. Cette poésie, qui ne s'aveugle d'aucun mot d'ordre, et pas même de ceux de la négritude, affirme sa souveraineté (« Ma poésie est une politique »). Elle retrace l'itinéraire d'une conscience révoltée en quête ». Fin de citation.
Je voudrais, d'emblée donner  la parole à Tchicaya: “il y a trente ans je publiais un recueil “Feu de brousse, dans lequel un poème s'intitule “Natte à tisser”. Dans ce texte, répondant à la fameuse assertion de Sartre “le nègre, on lui jette l'injure à la figure, il s'en saisit, il s'empare” j'ai eu une réaction et j'ai écrit:
sale tête de nègre...

voici ma tête congolaise...
 
C’est l’échelle la plus saine...c'est une sorte de vanité, de revendication d-être Congolais... je suis en situation de vouloir conquérir et détruire un certain nombre de citadelles qui me sont interdites et ou je voudrais habiter »
Poète de la deuxième génération de la Négritude, avec René Depestre, David Diop et Jean-François  Brierre pour ne citer que les plus illustres, Tchicaya est le poète de l’arbre et du fleuve ; du large et de l’ailleurs. En effet, celui dont Senghor a dit qu’il était l’un des meilleurs de sa génération, a toujours eu avec la négritude des relations très discrètes, pour ne pas dire distantes. Soupçonnant la négritude de généralisation abusive, il préfère se limiter au simple constat de sa négritude « historique » et affirmer plutôt sa « «congolité» ». Mais le Congo des deux rives, le Congo fleuve qui, comme tous les fleuves, se jette à la mer. Bref, il préfère la métaphore à l’hyperbole. Quand Tchicaya dit qu’il est Congolais et qu’il faut lui laisser la paix de l’être ; qu’il a conquis le droit d’être reçu sur les deux rives du Congo (Congo-Kinshasa et Congo-Brazzaville), il précise de quel Congo il s’agit et de quelle image il en a, je le cite de nouveau : « L’image la plus sûre que je puisse donner du Congo, c’est le fleuve. De toute façon, toute civilisation se fait autour du fleuve et ce fleuve charrie plus de ce pays qu’il traverse que toutes les archives. Le Congo se jette à la mer ; tous les fleuves qui sont témoins de l'histoire se jettent à la mer, les eaux du Niger, du Nil, du Danube, de la Seine ou du Mississipi. Tout cela est fondu. C'est la mer avec tous ses trésors insoupçonnables, tous ses trésors encore inexplorés. Si on faisait cette fusion de l'histoire, à l'instar des fleuves qui se jettent à la mer, pour se régénérer en fin de compte, même pour s'y perdre en fin de compte, si on fait cette fusion, alors on a des trésors insoupçonnables et nous irions de l'avant pour les connaître. Tant disque là, lorsque les fleuves passent, nous restons en-deçà et nous créons des barrières. C'est l'histoire qui crée des barrières, qui légitime les barrières ».
Ces propos, il les a tenus, en ma présence et en celle du professeur Mateso ici présent, lors d’une table ronde animée par Jacques Chevrier organisée par le Clef Et Garran en décembre 1986 à Paris.
L’eau. La terre. Fleurir comme l’arbre, être la mémoire du monde comme le fleuve, retrouver sa généalogie improbable, conjurer une identité offusquée, saccagée et meurtrie ;  savoir de quel arbre descendre : telle est la constante aspiration du poète. Du symbolisme de l’arbre et du fleuve dans l’œuvre de Tchicaya, la critique a tout dit. Aussi je ne me livrerai pas à une exégèse de ses textes ; je souhaiterai simplement rappeler deux idées-forces de Tchicaya qui subsument l’œuvre et la pensée de l’œuvre.
 Le refus du ghetto
Tchicaya aime le Congo. Le Congo est au centre de sa poésie. Fasciné par la figure emblématique de Lumumba, la tragédie congolaise est au centre de son univers poétique. Le Congo, dit- il dans Epitomé, est « au sommaire de sa passion » :
« Au sommaire de ma passion me dévêtir ...

O ma généalogie improbable !

De quel arbre descendre ? Quelles fleurs de cet arbre

fanait- il avant le glas ?
Qui sonna le glas ?

Un glas comme une fleur d’orpheline dans la nuit » 
!
 Pour Tchicaya toute littérature advient dans un horizon culturel déterminé, qu’elle excède d’ailleurs toujours. S’enracinant dans la culture de son auteur, puisque nul ne peut sauter par dessus son ombre, tout texte, en principe, en porte la marque, mais il serait abusif pour cette seule raison, d’emprisonner la littérature et le créateur dans une nation ou dans une race même pour les meilleures raisons du monde. Car si chaque créateur parle à partir d’un promontoire, c’est précisément parce que ce promontoire lui permet de jeter un regard sur l’horizon; si c’était pour fixer sa propre ombre, il n’aurait pas besoin de promontoire. Ce que propose  Tchicaya, c’est  la nécessité pour le créateur d’avoir un point de repère, de parler à partir d’un promontoire et il dénonce  toute forme de réduction « ellipsoïdale », de ghettoïsation ; ghettoïsation qui se fonde sur la dénégation des appartenances ethniques, de la communauté de destin et de souffrance des groupes situés de part et d’autre des frontières ; qui occulte et  nie la continuité historique entre des écrivains de générations différentes.
Tant qu’à faire Tchicaya, sachant que la création littéraire n’est pas une simple aventure ludique, préfère la dilution dans l’Afrique (qui élargit sa respiration) que la réduction à sa contingence de Congolais qui risquerait  de le plonger dans une apnée prolongée. C’est pourquoi sa «congolité» une fois affirmée le poète s’insurge, lors de cette table ronde, en précisant, je le cite : « J’ai dit que j’étais l’Ethnie, la nationalité, que j’étais africain. Mais je suis entrain d’abandonner un certain nombre de ces choses-là, pour être plus présent à l’avenir, plus présent au désir de tisser cette fameuse natte dont je parlais il y a trente ans. Je proviens d’une Ethnie, j’ai une nationalité, je suis africain, j’écris. Finalement il n’y a pas «écriture ethnique, ou nationale, ou africaine, il y a écriture simplement. Je suis en rupture avec l’Ethnie». Dans cette situation de rupture, j’ai une quête. Elle se transmet dans l’écriture. [...]. Il n’y a pas une écriture donnée, qui serait ethnique, nationale, africaine. Il y a une sorte de globalité dans la démarche, je suis écrivain et bien sûr, dans la mesure où je le suis totalement, toutes les composantes de ma personnalité se retrouvent dans mon écriture » Néanmoins dans  l’expression « poète africain » Tchicaya considère le substantif plus important que l’adjectif.
  1. La revendication de la fraternité humaine
S’adressant à d’autres lieux, le poète parle toujours à partir d’un lieu, ici le Congo, des deux rives, précise-t-il toujours ; et, au-delà, tous les nègres que lie une communauté de destin et de souffrance qu’il nomme son peuple :
« Je bois à ta gloire mon Dieu

Toi qui m’as fait si triste

Tu m’as donné un peuple qui n’est pas bouilleur de cru

Quel vin boirai-je à ton jubilate

En cette terre qui n’est terre à vigne

En ce désert tous les buissons sont cactus

Prendrai-je leurs fleurs de l’an

Pour les flammes du buisson ardent de ton désir
Dis-moi en quelle Egypte mon peuple a ses fers aux pieds
 ».
De ce lieu défini sans ambages, il explore des solidarités nouvelles, des fraternités en attentes, des complicités. Fraternités frémissantes, solidarités en gésine, complicités futures que figure la métaphore du fleuve :
Le Congo se jette à la mer; tous les fleuves qui sont témoins de l’histoire se jettent à la mer, les eaux du Niger, du Nil, du Danube, de la Seine ou du Mississippi. Tout cela est fondu. C’est la mer avec tous ses trésors insoupçonnables, tous ses trésors encore inexplorés. « L’essentiel va à la mer, va à quelque chose de beaucoup plus large ».
Comme le philosophe antique, le poète aimerait pouvoir dire : parce que je suis Congolais, rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Il refuse d’emprisonner la littérature, singulièrement la poésie, dans son être-là, dans son « être au monde », même pour les meilleures raisons du monde. C’était là déjà un des messages fondamentaux du Cahier d’un retour au pays natal : «Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les Chancelleries», s’était écrié Césaire.
Cependant Tchicaya sait que chaque société, singulièrement les sociétés africaines, est confrontée à des problèmes, soumise à des interrogations auxquelles elle est tenue d’apporter des réponses. Ce dont témoignent le choix de son pseudonyme et l’ensemble de son œuvre. Ce qu’il récuse c’est l’enfermement dans un ghetto (par exemple la littérature nationale au sens d’une littérature congolaise conçue à l’intérieur des frontières arbitraires héritées de la colonisation) à travers les barrières duquel les autres le liraient ; d’être en opposition stérile avec les autres en se barricadant derrière l’affirmation intempestive d’une différence orageuse et véhémente; il revendique son statut d’homme pris dans des contingences historiques qu’il n’a pas cherchées, qu’il cherche à élucider, et à travers elles, sa condition d’homme. Je le cite de nouveau : « Si on faisait cette fusion de l’histoire, à l’instar des fleuves qui se jettent à la mer, pour se régénérer en fin de compte, même pour s’y perdre finalement, si on fait cette fusion, alors on aurait des trésors insoupçonnables et nous irions de l’avant pour les connaître »
Tchicaya U’Tamsi est un moment de la littérature africaine, et à ce titre fait partie du patrimoine universel. Il a produit une œuvre considérable, riche et féconde.
Mesdames et messieurs,
Voilà 26 ans déjà que Tchicaya est retourné au Royaume d’Enfance : quelque part entre l’Eden et  les Champs Elysées des poètes ; devisant avec Homère de la puissance de la parole qui transmute le plomb en or ; discutant avec Ovide des métamorphoses du Verbe dans la douleur de l’exil qui féconde tous les matins du monde. Si quelque chose doit rester de son « message » pour les provisoirement  vivants que nous sommes, c’est bien cette revendication de l’unité africaine des peuples, unité solidement adossée à cette « postulation irritée de fraternité » en laquelle Césaire voit notre principale raison de vivre et d’espérer. Il a écrit :
« La liberté congolaise est mon écharde
au cœur comme après Kin le fleuve s'étrangle d'agonie 
Après avoir « catiner son siècleTchicaya qui est mort de la belle mort – épectase – mort qui hante sa poésie et dont il n’a cessé de nous avertir de sa précocité.
“je pourrais dire merde à ma vie
et m'en aller l'âme en écharde
on m'accusera d'avoir trahi
les hirondelles et les puces
mes compagnes par dérision naguère ».
 
Tchicaya est parti en nous laissant pour héritage l'opulence de son souffle et l'amplitude de sa voix. Et Josué Guébo, lauréat du prix Tchicaya U’Tamsi qui nous célébrons aujourd'hui pour son magnifique poème “Songe à Lampedusa” est un gage que l'héritage sera fructifié au soleil sahélien et méditerranéen de nos rêves.
Je vous remercie de votre aimable attention
 
Pr. Hamidou Dia (Ph.D) Docteur ès lettres, professeur hors-classe de philosophie, Diplômé d’Etudes Approfondies en Sociologie, Lauréat du jasmin d’argent de la poésie francophone et Conseiller Spécial pour la Culture du Président de la République du Sénégal

Un humanisme africain pour l'Humanité

Aek m1Boubacar nous semble d’abord familier, tant son rêve nourrit les faits divers dramatiques que relatent les médias sur un ton presque indifférent. On voit, sans plus entendre toutes ces misères qui chavirent aux portes de l’Occident. Sud-américain ou africain, il court vers un mirage qui s’éloigne à chacun de ses pas. Mais, au fil des pages Boubacar apparaît autrement. Il est exalté sous un calme orageux, porté par une ferveur qui galvanise subrepticement le lecteur. On entre dans l’aventure sans s’en rendre compte pour cheminer avec le personnage. Puis, au détour d’une page on se laisse entraîner dans un univers rythmé ; en arrière-plan le chant d’une femme rappelle avec force une douce complainte.
En dépit de la lourde réalité qu’il relate, le contexte littéraire est subjuguant…
Au fond, l’auteur livre une critique sans concession de la société africaine et sénégalaise en particulier. De la sphère politique, étatique à celle de la famille tout est passé en revue.
Samba Diallo, qui n’est plus dans l’ambiguïté, marche assurément dans les pas de son homonyme,  Samba Diallo, disparu au bout d’un chemin inachevé. Mais c’est  un autre temps, un autre lieu. On se demande si son aîné (L’aventure ambigüe de Cheikh HAMIDOU KANE), n’est pas, dès alors, l’homme qui a trahi. La Grande Royale avait considéré qu’il devait partir (dans l’aventure culturelle) pour apprendre « …comment vaincre sans avoir raison… ». En effet, savoir c’est se prémunir et prémunir les siens. Sa mission était donc de saisir les ressorts de cette civilisation qui tente de s’emparer de l’âme d’un peuple qui croit à la seule vérité de ceux qui ont raison, ceux qui sont légitimes dans leur stature. Mais Samba Diallo a abdiqué, il a failli à sa mission ; son âme est tombée en déliquescence. Le Samba Diallo que convie Amadou Elimane Kane est le fils-frère dont l’âme sera capturée. Il a fait le choix du renoncement et de la gabegie. Ses enfants prendront les pirogues de la mort pour fuir le désert qu’il a créé. C’est le désarroi d’un peuple que décrit le cheminement qui mène de la faiblesse d’une âme  à la trahison consciente et assumée.
En définitive, ne serait-ce pas l’éducation moderne qui a perdu ces hommes ? La négation de soi n’est-elle pas en germe dans un système éducatif qui nourrit l’enfant par les racines d’autrui ?    Il est assurément dangereux de s’immerger sans cuirasse   dans des mondes battis par l’imaginaire d’autrui. Le destin de Nelson Mandela, héro de l’humanité, devrait inciter les penseurs de systèmes à revoir leurs sources. Cet homme pétri de la culture de son peuple a su dépasser toutes les conditions avilissantes pour témoigner de la force de son humanité qu’il offre à tous les hommes. Il nous laisse cette leçon en quelques mots dans « Un long chemin vers la liberté ». Il nous montre combien l’humanisme de chaque peuple est utile à l’humanité entière. L’histoire de Samba Diallo reflète l’homme africain en proie à la négation de lui-même, celui imbu d’une culture qui le noie dans le complexe, l’avidité et la cupidité. Toutes les richesses matérielles ne lui rendront jamais ce qu’il a perdu : lui-même.  Pour aller à la rencontre des autres il faut être habillé de son propre costume. On n’est jamais ridicule ainsi. Quand on sait qui on est, on ne se perd pas. Boubacar incarne cette minorité, consciente de son identité dans la multitude et qui appelle au retour à soi. Il est relayé par Mariam Asta Kane qui sait au fond d’elle-même que l’avenir de son fils est dans cette terre que son père a sans cesse labourée pour le grandir. Il tentera certainement l’aventure vers l’autre rive mais s’il est solide dans ses racines, il reviendra vers cette terre pour qu’enfin s’achève l’aventure de Samba Diallo qui aura été une blessure consolidée.
Amadou Elimane Kane offre à l’Afrique un chant épique rythmé par le son de la kora dans le champ de bataille de la renaissance et du panafricanisme. Il invite à la prise de conscience.
9782369290001 0 1784939L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, récit, Amadou Elimane Kane, éditions lettres de Renaissances, Paris, février 2013
 
Maty BB-Laye DIAKHATE

L'aventure africaine du 21ème siècle

Aek m3Voici un ouvrage de littérature panafricaniste qui incite à méditer et sur lequel il faut méditer. Amadou Élimane Kane nous plonge en effet au cœur de l’actualité de l’Afrique contemporaine en prenant le soin particulier de nous indiquer que l’Afrique d’hier, celle du moment des Indépendances n’est plus l’Afrique d’aujourd’hui, celle du XXIe siècle. Évolution qui tient moins à un quelconque développement économique ou décollage imminent du continent, comme le discours managérial ambiant voudrait le faire croire, qu’au fait que le monde a tout simplement changé entre-temps. Et cette donne doit être prise en compte, surtout par la littérature panafricaniste. Auparavant, elle a pu décrire la condition de l’Homme africain, notamment dans son rapport avec l’Occident, sur le registre de l’aliénation culturelle voire du choc des cultures. Cette vision a fait son temps, souligne le poète dans un récit passionnant qui met en scène des personnages aux émotions pures pris dans des situations pouvant sembler familières au lecteur.
C’est à travers le prisme de l’exil qu’Amadou Elimane Kane a tenté de décrypter nos réalités sociales contemporaines. C’est d’ailleurs ce qui confère à son récit toute sa force et son originalité, étant donné le « privilège épistémologique » associé à l’exil, pour reprendre la belle formule d’Enzo Traverso (L’Histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, La Découverte, 2012, p.227). La fécondité du point de vue de l’exilé tient de la particularité de son itinéraire moral - fait de tribulations, de sacrifices, de renoncements – qui l’installe dans une position évaluative singulière que ne peuvent avoir ni les citoyens de son pays d’origine ni ceux du ou des pays d’accueil. Avec l’exilé, on a si l’on peut dire une autre altérité : l’Altérité à la puissance deux.
Boubacar Diallo est le personnage qui articule le point de vue de l’exil. Sa vie a été véritablement une aventure. Élevé au sein d’une famille polygame, Boubacar ne pouvait plus supporter de n’être d’aucun secours à ses proches, et à sa mère en particulier. Il a tracé les voies de son avenir en empruntant les chemins sinueux et périlleux de l’émigration clandestine. Pour accomplir son rêve - se rendre en France sans avoir de visa et avec peu de moyens financiers - il a dû sillonner nombre de pays africains, faire l’épreuve du désert saharien, effectuer la traversée de la Méditerranée avec des embarcations de fortune, se fondre dans la masse des refugiés dans les centres de rétention et in fine vivre la condition de sans-papier en France. 
Le jeune Boubacar est le portrait contemporain d’une jeunesse africaine en déshérence, qui ne sait plus à quel saint se vouer et qui n’entretient que peu d’espoir de pouvoir réaliser une vie épanouie sur le continent. C’est le portrait d’un homme qui est dans le présent, qui doit décider du sens de sa vie à la hâte ; d’un homme qui est pressé par les urgences et qui laisse sa vie à leur merci ; d’un homme déterminé qui pour éviter la mort sociale est prêt à larguer les amarres psychologiques qui pourraient le retenir sur place ; d’un homme pour qui le risque est, par nécessité, devenu carrière.
 Si Boubacar Diallo a pu accomplir son rêve, en réussissant à devenir un enseignant respecté qui œuvre à promouvoir le patrimoine culturel de l’Afrique, il le doit dans une grande mesure à la fortune. Il a été somme toute chanceux. Mais la chance n’explique pas tout. Sa ténacité, sa détermination, sa modestie et sa résilience ont été des qualités essentielles. Les péripéties de sa vie d’exilé, au lieu d’amollir ses principes moraux et éthiques, l’ont renforcé. Au lieu de l’éloigner de sa culture d’origine, elles l’ont revigorée. Au lieu de laisser le racisme et les différentes formes de discrimination vécues en France l’emporter vers un repli identitaire, Boubacar a essayé de tirer le meilleur parti de ce que la culture française pouvait offrir.
En France, avant de pouvoir voler de ses propres ailes, Boubacar Diallo a bénéficié de l’aide de Samba Diallo, l’ami dont il est question. Ce n’est plus le Samba Diallo de l’Aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane. Le déracinement culturel ne décrit plus son rapport à l’Occident. Samba Diallo a fait ses études en France sans trop de difficultés puis est retourné dans son pays pour occuper de hautes fonctions dans la sphère politique. C’est un politicien renommé dont la situation matérielle privilégiée lui a naturellement attiré courtisans et ennemis. Malheureusement, il est devenu méconnaissable aux yeux de son ami d’enfance, Boubacar Diallo. Samba Diallo s’est amolli au niveau de ses principes moraux et éthiques. Il a placé son ambition et ses intérêts personnels devant le bien public pour lequel il est censé œuvrer en tant que responsable politique. Il a fini mal.
Lors de son séjour au Sénégal qui fait suite à sa longue période d’exil, Boubacar Diallo constate à travers le cas de son ami que les élites africaines d’aujourd’hui ont fait le choix de trahir leurs peuples. Il est déçu également par le regard et le jugement que ses compatriotes sénégalais portent sur lui. Parce qu’il est honnête et rigoureux, on lui en veut d’être un toubab. Comme si les vertus éthiques et morales étaient une question d’ordre racial voire d’ordre climatique. Ce contre quoi il s’insurge avec véhémence. Et c’est ici qu’apparaît toute la singularité de la condition de l’exilé : dans son pays d’origine, il est de plus en plus perçu comme un étranger voire un être aliéné voire une planche à billets ; dans son pays d’accueil, il doit en permanence convaincre et rassurer quant à son mérite éthique en tant qu’un être humain générique venant d’une autre culture. « Noir » en Occident, « Blanc » en Afrique, telles sont les perceptions contradictoires qui s’abattent sur le visage de l’exilé.
Le drame de l’exilé consiste ainsi en cette quête renouvelée de son identité et dans la défense de son identité. Au moment d’effectuer la traversée pour l’Europe, le jeune Boubacar avait brûlé ses papiers pour se refugier dans une non-identité temporairement protectrice. Par la suite, quand il est parvenu à ses fins, il a voulu comme un phénix renaître des cendres de cette identité dont il s’était formellement séparé. Comme l’exil l’a façonné d’une manière bien particulière, il ne serait plus jamais le même homme. « Qui es-tu Boubacar ? » lui a demandé Mariam Asta Kane lors d’un séjour au Sénégal, une amie qui appréhende la fascination que Boubacar et l’Occident exercent sur son fils.
Cette question philosophique par excellence constitue aussi, au niveau sociétal, la trame de l’aventure vécue par Nabou et Demba Diallo, deux êtres profondément amoureux l’un de l’autre et dont le projet de mariage est rendu impossible par le déploiement des conventions sociales. Dans une société sénégalaise qui se glorifie d’être moderne et démocratique, force est de constater que nombre de pratiques discriminatoires anciennes continuent toujours de sévir. Malheureusement, l’éducation ne permet pas toujours de s’affranchir des croyances surannées et des stéréotypes. La preuve : le père de Demba Diallo est un universitaire réputé qui n’entend pas autoriser le mariage de son fils avec une fille classée comme appartenant à un ordre social inférieur. Finalement, c’est par l’exil que Nabou et Demba parviendront à sauter et non à éliminer les barrières sociales qui s’opposent à leur souhait de vivre en commun.
 Si Amadou Elimane Kane a privilégié le point de vue de l’exil dans son récit, c’est également pour mieux faire passer son message philosophique : le choc des cultures ou le choc des civilisations est une grille d’analyse réductrice. Aucune culture n’est parfaite et exempte de reproches. Partout, les stéréotypes discriminatoires, les injustices et les actes tyranniques persistent grâce à la complicité active ou passive des uns et des autres. Si bien que pour ce panafricaniste impénitent le défi qui interpelle l’Humanité aujourd’hui porte moins sur l’antagonisme des cultures que sur le choc des éthiques. C’est dans l’aptitude de tout un chacun à faire preuve d’ouverture d’esprit, de tolérance et de vigilance critique vis-à-vis des croyances aliénantes et des pratiques assujettissantes que repose le monde que nous voulons. Entre le Charybde du repli identitaire et le Scylla de l’ « aliénation sucrée » (l’expression est de Joseph Ki-Zerbo), Amadou Elimane Kane nous invite à faire preuve d’une conscience réflexive nourrie par les enseignements de l’Histoire et ancrée sur un programme éthique fort. 
En somme, nous avons là une belle œuvre littéraire rédigée dans un style poétique qui exprime les engagements, sensibilités et convictions de son auteur. Elle nous interpelle tous sur notre responsabilité individuelle, et notamment la responsabilité des Africains dans la construction d’une Afrique unie au service des peuples. Elle nous incite dès l’entame, dès l’exergue, à réfléchir sur une authentique acception du mot liberté. C’est d’ailleurs la clé qui permet de résoudre l’énigme d’un titre-clin d’œil dont le caractère vague, indéterminé, non-affirmatif, ne peut manquer de susciter l’attention du lecteur. En effet, pourquoi une aventure non-ambigüe mériterait-t-elle d’être racontée ? Probablement, parce que telle est notre condition au seuil du XXIe siècle et qu’il nous appartient de donner un contenu plus significatif à nos aventures…
L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, récit, Amadou Elimane Kane, éditions lettres de Renaissances, Paris, février 2013
 
Dr Ndongo Samba Sylla, économiste et chercheur
 

La conscience et l'éthique de l'homme en question

Aek m2Presque universellement, l’immigration est impartie aux peuples noirs. Presque unanimement l’immigration est le synonyme de la misère d’où le lien avec l’homme noir. Une manière aussi de justifier la caricature qui consiste à mettre l’homme noir du mauvais côté, du côté sombre, du côté de la mendicité et de la dépendance. L’une des raisons extraordinaires de cet amalgame, c’est qu’elle parait aller de soi, qu’elle semble naturelle. A la fois pour ceux qui pensent que l’homme noir doit être relégué au second plan, et pour ceux qui en silence souffrent de cette caricature.
Dans cet ouvrage, Amadou Elimane Kane retrace l’histoire de Boubacar, un jeune immigré laissant son pays natal à la recherche de savoir. Un savoir qu’il pense trouver en Europe et qu’il va finalement trouver. Mais il va également côtoyer  la discrimination raciale où l’homme noir apparait comme un sous être. Cette injustice et cette inégalité dans lesquelles baigne la société française où les hommes, les femmes  sont pourtant considérés comme des êtres pensants, des intellectuels au nom des Droits de l’Homme.  Cette forme de violence symbolique, de domination parfois invisible et qui passe comme acquise est une chose qu’on peut difficilement comprendre de l’extérieur, c’est-à-dire si on n’est pas soi-même immigré, si on n’a pas la peau claire. Toutefois cela n’a pas empêché Boubacar de réaliser son rêve, celui d’apprendre pour devenir quelqu’un de respectable. La volonté de savoir de Boubacar est plus grande, car la connaissance à ses yeux est universelle, et chacun a le droit de se l’approprier comme il l’entend et surtout de s’en servir non pas comme bon lui semble, mais au profit de tous. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de Samba Diallo qui lui a profité de cette connaissance, de ce savoir faire pour s’enrichir au détriment de tout un peuple.
D’une certaine manière, ce récit retrace l’histoire de beaucoup d’immigrés noirs, quelque soit l’endroit d’où ils viennent et les raisons pour lesquelles ils arrivent en France. Mais  il reflète aussi l’état d’esprit de l’homme pour ses pairs  pour lesquels  il  ne s’en soucie guerre du moment où tout va pour le mieux dans sa vie. Car la tentation de passer radicalement d’une classe sociale à une autre, de s’en mettre plein les poches est plus forte pour penser au bien être des autres. En lisant ce texte, avec un peu de reculs, ce qui est intéressant, c’est que l’on peut facilement faire le lien et réfléchir à sa propre vie. Arrivée en France à la fin de mes études, je me suis posée plein de questions sur mon éventuel retour au pays, en me disant qu’on n’est jamais mieux que chez soi. Mais la question épineuse me revient sans cesse, à savoir  est-ce que je retourne pour mon profit personnel, celui de ma famille, ou pour contribuer au développement de mon pays en aidant ceux qui sont dans le besoin ? Aurais-je la même force que Boubacar pour combattre les vautours en Haïti ? En tout état de cause un mouvement rationnel devrait s’inspirer de ce récit pour travailler à rechercher des techniques collectives pour une nouvelle société juste et égalitaire.
En écrivant ce texte,  Amadou Elimane a voulu donner  à ceux qui veulent comprendre le moyen d’objectiver, de transformer quelque chose de profondément conscient et parfois inconscient. Je veux parler non seulement du rapport qui existe entre les individus dans la société française, ou les noirs sont juste inconsidérés, pas reconnus encore dans leur intellectualité, sachant qu’une terre appartient à tous ceux qui l’habite. L’inégalité,  l’injustice sous toutes ces formes, le rejet de l’autre, mais aussi la capacité qu’a l’homme noir de s’éterniser sur le passé. Un passé qui devrait servir de base sur le chantier du développement, plutôt que de chercher à accuser l’homme blanc à tout bout de champs pour justifier la corruption, l’injustice qui gangrène la société africaine.
Ce texte est une forme de lunette grossissante à travers laquelle on peut comprendre la vie des immigrés, des noirs en France. Mais c’est aussi une manière de comprendre le rapport de l’homme à l’argent, au pouvoir, aux biens matériels. Car finalement, Samba Diallo peut aussi être un blanc, un noir, une femme, un homme. Parce que l’avidité de l’homme n’a pas de sexe, ni de couleur. Le comportement de Samba Diallo est l’exemple de ce qu’il peut y avoir de pire chez l’être humain car la science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
 
L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, récit, Amadou Elimane Kane, éditions Lettres de Renaissances, Paris, 2013
 
Madeleine GALLAND, sociologue et enseignante
 

L'aventure d'une écriture plurielle

Aek m4Quelle mouche a piqué Amadou Elimane Kane, et  dans quelle encre a-t-il trempé sa plume de poète invétéré et reconnu, pour arpenter les chemins sinueux du récit, et ainsi s’aventurer dans les méandres tortueux d’une écriture plurielle, aux confluences du roman, de l’essai, entre réel et fiction, entre la poésie et la prose ?
En abandonnant les berges poétiques, même tourmentées, qu’il connaît le mieux, et sur lesquelles il était si à l’aise, pour écrire un texte aussi flamboyant que L’Ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, Amadou Elimane Kane, autant par humilité et modestie, que par probité intellectuelle, a voulu déconstruire une forme scripturale axée sur la subjectivité de la poésie, pour dérouler ce qu’on appelle aujourd’hui son Agenda 21, à savoir « inscrire certains maux qui interpellent au 21ème siècle, particulièrement au Sénégal ».
Ce livre se déroule en 4 épisodes, dont le premier reprend le titre générique : L’Ami dont l’aventure n’est pas ambigüe.
Cependant, dès l’entame de la lecture, ce qui attire tout de suite l’œil, c’est la récurrence du mot « aventure » dans chacun des différents récits :
-          « La femme dont l’aventure est un poème »
-          « Demba Diallo dont l’aventure foudroie toute forme de cloisonnement et de castes »
-          « Mon aventure traverse les mondes ».
En fait, quid de cette  « aventure » ?
Est-ce celle spécifique, singulière, idiosyncratique et initiatique de chacun des personnages ?
Ou est-ce celle de l’auteur Amadou Elimane Kane  lui-même qui nous donne des pistes : « ces récits puisés dans mon imaginaire ont une place de vérité dans mon champ littéraire. C’est un texte qui relève de l’imaginaire et de faits réels. »
En vérité, tous ceux qui connaissent bien Amadou Elimane Kane, le reconnaissent sous les traits du personnage de Boubacar.
À travers son livre et son choix d’une écriture apoétique, Amadou Elimane Kane a          voulu nous montrer que la poésie, dans son infinitude, est inapte à traduire la finitude des causes et idéaux que ne peuvent incarner  que des personnages vivants, livrés à leur sort, sur les chemins escarpés de l’humanité.
Ce que les mots, dans leur rythme et leur musicalité liés à la magie des images sont incapables de traduire, des destins épars, par le biais d’individualités fortes arrivent à l’exprimer.
Le poète descend de sa tour d’ivoire, pour écrire le livre de l’éthique, de l’idéal de grandeur, de l’équité, de la fraternité, du partage, de la générosité, de la fidélité, de la sacralité des connaissances et de la nécessité du savoir.
Dans le premier récit, l’auteur met en exergue l’importance des valeurs cardinales fondamentales qui sourdent du personnage de Boubacar, opposé à celui de son ami d’enfance Samba Diallo « qui, bien que formé par le pays des Lumières, a choisi la voie de la désintégration, de la trahison, et inscrit ses actes dans la déshumanisation par le pillage de l’intérêt commun ».
Quant à Boubacar, de son village, royaume d’enfance au bord du fleuve, à l’aventure forcenée pour arriver en France, y rester et y vivre, « armé de détermination, (il) va jusqu’au bout de son rêve pour prendre sa place dans un monde qu’il a choisi ».
La cause panafricaine chevillée au cœur et au corps, Boubacar se met dans une quête multidimensionnelle d’éthique, avec comme credo un retour aux valeurs essentielles africaines, en intégrant pleinement sa double identité.
Après avoir apprivoisé l’Occident, il fait le choix du retour au pays natal pour servir ses causes et son peuple.
Le deuxième récit est un hymne, un chant polymorphe et polyphonique, épique, poétique, mémoriel, emblématique, un chant de liberté et une ode à l’amour, que décline le personnage si attachant de Mariam Asta Kane.
Etre invisible jusqu’à la reconnaissance et la renaissance à travers le regard amoureux de Bocar Sokhna (l’aimé et l’aimant), qui profère la parole amoureuse et le fait exister, Mariam Asta Kane incarne la femme résistante aux mille visages, qui reprend le flambeau de toutes les femmes héroïques de Nder, de la reine Pokou, de Zingha, reine d’Afrique, « négresse indomptable », de la Mulatresse Solitude de Guadeloupe, de la princesse Yannega, de la savante reine Ndaté Yalla…
Dans ce récit hybride, poético-romanesque, le poète refait surface et brandit les armes miraculeuses de son engagement, de sa recherche  sublimée de liberté.
Il nous sert un poème lumineux entrelacé au récit, avec des morceaux choisis, notamment dans les recueils « La Parole du Baobab » et « Le Palmier blessé », d’où retentissent, comme des cris de révolte et de refus : « comment voulez-vous que je me soumette », « comment voulez-vous que je me taise ».
Symbole de la femme-puissance, solide baobab matriciel, indéracinable fromager à la « parole éternelle », Mariam Asta Kane « puise dans ses ressources de femme debout ».
Et ce n’est pas pour rien qu’Amadou Elimane Kane nous prend par la main pour nous conduire sur les chemins des arbres flamboyants, et de la flamboyance attendue et espérée de la Renaissance africaine.
Dans le troisième récit, Amadou Elimane Kane aborde le crucial problème de la mixité sociale avec le combat audacieux et iconoclaste des jeunes Demba Diallo et Nabou, les amoureux unis contre les préjugés, l’obscurantisme, le conservatisme et les croyances ancestrales rétrogrades de leurs milieux sociaux respectifs.
Les parents de Demba Diallo refusent leur union au nom de la caste, et ceux de Nabou au nom de l’honneur, de la parole donnée et du refus de la soumission.
En fait, c’est au nom  des mêmes  principes aveugles, de part et d’autre, que le rêve de Bonheur des amoureux doit être contrarié et annihilé.
Mais ce que les familles ignorent, c’est leur volonté inébranlable de bâtir, de construire leur propre destin par le choix déterminé de vaincre l’adversité,  l’ignorance et la bêtise, en mettant en avant une farouche détermination de faire tomber les murs pour établir des passerelles, des ponts, de casser les chaînes pour mieux s’envoler.
Par leur choix d’un au-delà de toutes les barrières sociales, la recherche assumée de liberté, Demba Diallo et Nabou savent que ce qu’ils ont déjà bâti est « précieux, comme une forteresse, une espèce de croisade contre l’impossible ».
Pour assumer leur amour, ils préféreront l’exil à l’esclavage, à la misère de la pensée.
Par ce geste humain, rien qu’humain, ils ont su faire leur la pensée de Mr Sow, le Professeur de Demba Diallo qui lui a appris qu’il ne faut jamais se détourner de l’essentiel.
Le dernier récit rassemble tous les personnages, à travers l’évocation et la narration de la mère-courage Mariam Asta Kane qui nous fait revivre, sous forme de fresque et de geste historique, toute une atmosphère psychologique, sociale, économique. Même les corps, concomitamment aux cœurs débordants de sentiments, participent de cette évocation mémorielle intense. La vie se déroule devant nos yeux, avec son lot de bien, de mal, de nuances, de noir, de blanc, de gris, de paix et de révolte, bref de complexité.
Ici émergent et se développent les thématiques si évocatrices d’une véritable humanité comme la persévérance, la fidélité en amitié, la pluralité de l’homme, la responsabilité d’assumer sa double identité.
Le danger morbide et destructeur qui guette l’homme dans sa complexité essentielle et fondatrice, c’est de brandir l’étendard de « la fameuse appartenance », ethnique, culturelle, sociale, cultuelle, religieuse.
Quand Boubacar crie  « je suis un homme debout…un bâtisseur de l’unité africaine, et par-delà, un bâtisseur de l’universel », il veut simplement signifier qu’il faut nécessairement  déconstruire l’idéologie qui veut amputer l’homme de son Humanité.
Et de tous les personnages récurrents, le jeune et brillant Abdul préfigure l’A-venir. Autant le gland symbolise le chêne en devenir, autant la figure prospective et déjà charismatique de Abdul concentre toutes les lumières du futur, et de l’espoir d’un monde différent de celui dans lequel il est né et où il vit.
Au-delà des vicissitudes, des combats, des échecs des adultes qui l’entourent, la vie et le monde sans frontière lui ouvrent les bras pour l’embraser d’un bénéfique élan vital.
À lui tout seul, Abdul, à travers tous les regards périphériques, mais surtout celui de Boubacar à qui il rappelle sa jeunesse fougueuse, son rêve d’aventures et son itinéraire chaotique de vie, donne corps à l’ambition, au désir d’ailleurs, à la liberté de développer sa singularité, à la tension vers d’autres altérités.
Cet ultime récit se terminera néanmoins dans une ultime pirouette poétique, parce qu’Amadou Elimane Kane est avant tout un poète impénitent et non refoulé, qui ne peut nullement renier ses origines de créateurs d’images et de magie.
En effet, Mariam Asta Kane ne demandera finalement qu’une chose à son fils Abdul, sur le départ pour une nouvelle vie : « revenir à chaque saison des pluies pour danser sous l’eau ».
La globalité de l’œuvre explique pourquoi on peut dire que, pour un coup d’essai, c’est vraiment un coup de maître, et qu’Amadou Elimane Kane a su faire preuve d’un véritable talent littéraire, en créant un style inclassable, insaisissable et inédit, qui mélange plusieurs genres scripturaux qui se marient merveilleusement, pour former une trame harmonieuse.
Par des phrases courtes, dans une écriture simple, hachée et presque musicale, claire et lisible, il a donné à chacun de ses personnages une ampleur , une étoffe, des couleurs qui ont créé un intérêt certain, même chez un personnage aussi maudit que celui de Samba Diallo.
Ce Samba Diallo qui, contrairement à celui de Cheikh Hamidou Kane dans son célèbre livre L’Aventure Ambigüe, n’est pas dans l’ambigüité.
Il n’est pas dans un entre-deux infernal (tiraillé entre le pays des Djallobe et l’Occident, entre la tradition et la modernité) qui va le mener à sa perte, tué  au bout du chemin par un « fou »…
Ce Samba Diallo-ci a choisi en son âme et conscience (inconscience !) de tourner le dos à la morale, à l’éthique, aux valeurs essentielles sociétales. En cela, il est lui-même le responsable de sa déconfiture, de sa forfaiture, et de sa dégradation.
Et pour cela, il est bien L’Ami dont l’aventure n’est pas ambigüe.
 
L’Ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, récit, Amadou Elimane Kane, éditions Lettres de Renaissance, Paris, février 2013.
 
Dr Ndongo MBAYE
Docteur-es-lettres
Sociologue et journaliste
Poète-écrivain
Enseignant Associé en Communication et Sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), et à l’Institut de Formation en Administration des Affaires (IFAA) à Dakar
Membre du Comité Scientifique de l’Institut Culturel Panafricain et de Recherche de Yène (ICP)
Directeur des Universités d’été et du Département Lettres et Culture de l’ICP
Responsable de la Collection « Poésie » des éditions Lettres de Renaissance (Paris, Sénégal)
Responsable du Pôle Loisirs Retraités et Handicapés de la Mairie de Choisy Le Roi (Val de Marne) en France.
 
 
 
 
 
 
 
 

L'ami dont l'aventure n'est pas ambigüe ou une leçon d'humanisme

Ndeye codou fall
Amadou Elimane Kane part de son expérience existentielle pour écrire. Cependant, il la dépasse en recréant dans son imaginaire et en y ajoutant ce qu'il a vu des expériences des autres. De cette somme de vie sort L'ami dont l'aventure n'est pas ambiguë, récit d'humanité, d'espoir et de générosité qui montre que l'homme est au-dessus de tout, capable de se construire et d'évoluer en ayant confiance. Comme dit Protagoras, "l'homme est la mesure de toutes choses".
Amadou Elimane Kane est un humaniste, il dénonce les injustices, toutes les injustices et exhorte à la solidarité dont le première forme est d'aider l'autre à apprendre, à acquérir la connaissance. À travers Boubacar, on se rend compte qu'avec le savoir et la terre (tout ce qui rend l'homme meilleur), on peut repousser les mesures du vide.
Boubacar a connu toutes sortes de souffrances depuis sa tendre enfance avec une famille polygamique, une tante sévère et autoritaire (première épouse de son père), un père qui est rarement à la maison et les misères da sa mère, souvent en silence. Dans un premier temps il décide d'arrêter ses études pour voyager, car il est convaincu de ne pas trouver la réussite dans son pays, barça ou barsakh, "l'Europe, quels que soient les dangers et les difficultés" p.21. Le chemin est long et difficile de Saint Louis en France en passant par Dakar, Thiès, Tambacounda, Kidira, Kayes avant d'arriver à Bamako puis Sikasso où il continue jusqu'à Bouaké, ensuite Abidjan.
Retour à Bamako où il retrouve avec émotion sa bienfaitrice et son mari Alioune pour ensuite reprendre sa route : Gao, Niger, Anefis, Tessalit avec d'autres compagnons de voyage qui veulent quitter l'Afrique, leurs "projets n'auraient de sens que sur l'autre continent" p.32
La route est un calvaire jusqu'à Tamnassaret, Moggar, le Sahara, la Tunisie, Tiaret, Remada par bateau et quel bateau avec une faible lueur d'espoir jusqu'à Gabès et Sousse puis Rome,  Palerme, Naples, enfin ... Paris.  Le chemin périlleux et difficile parsemé d'embûches, de tracasseries de toutes sortes et de privations n'a pas empêché à Boubacar d'"arriver" et de  retrouver des raisons d'espérer mais c'est comme qui dirait le début des vraies souffrances. La rencontre avec son frère Alpha Ciré est un échec. En accompagnant son ami Paul à l'Université, Boubacar rencontre Samba Diallo, son ami d'enfance. Ce dernier l'aide, le soutient, lui montre la voie sans rien attendre en retour. Cette entrevue remplit Boubacar d'une étincelle de lumière qui le rend si léger. Plus tard, malheureusement, Samba Diallo choisit de tourner le dos à l'intérêt général pour pactiser avec le pouvoir qui "le tenait et ne desserrait pas son étreinte" p.58 jusqu'à la prison et l'humiliation. Avec Samba Diallo, les fruits n'ont pas su porter les promesses des fleurs. Boubacar n'est pas d'accord avec lui mais ne l'abandonne pas, sa "fraternité est indestructible" p.135.
L'Europe a sa part de responsabilité dans la déchéance de l'Afrique mais celle-ci est porteuse de son image ; il est donc malhonnête de considérer qu'elle est la cause de tous nos maux. La question qu'il faut se poser est de savoir pourquoi les Européens ne peuvent pas reconnaître le potentiel des Africains ? Pourquoi ils ne voient chez le Noir que "celui qui est incapable d'exercer des responsabilités" ?  Pour exemple, Boubacar, avec toutes ses connaissances, son savoir et sa formation, ne peut débuter son enseignement sans la présence de la directrice d'école. Malgré le manque de confiance de ses chefs, la raillerie et la méchanceté de ses collègues, Boubacar va jusqu'au bout de son rêve. Est-ce que les Européens craindraient-ils d'être dépassés ? Savent-ils que l'Afrique est le continent de l'avenir ? Dans l'inconnue de la réponse, L'ami dont l'aventure n'est pas ambiguë nous invite à repenser nos systèmes de valeur pour nous développer. C'est possible avec l'honnêteté, la générosité et le savoir.
La réussite de Boubacar donne l'exemple remarquable de ce qui peut être accompli grâce à une énergie forte, l'intelligence, l'esprit visionnaire et une volonté de fer. La connaissance confère la puissance.
Par ailleurs, aider à l'autre à savoir revient à l'aider à se construire tel Abdul, le fils de Mariam Asta Kane, la femme dont l'aventure est un poème. Bocar Sokhna, l'homme au regard de braise, consacre la majeure partie de son temps et son énergie au Domaine qui est son univers, lequel Domaine continue d'exister par la volonté, le courage et la détermination de l'homme. Leur souhait était que, plus tard, Abdul reprenne les rênes mais leur fils a en vue des horizons plus larges, aidé en cela par Boubacar. Abdul va poursuivre ses études en France.
Il est plus chanceux que Demba Diallo et Nabou, éperdument amoureux l'un de l'autre, mais la société refuse cet amour à cause de stupides "classes". Leurs parents respectifs croient que le mélange des classes crée des problèmes et s'opposent farouchement à leur union. Mais l'amour étant une chose infinie, ils reconstruisent leur vie en suivant un principe simple : s'aimer d'un amour vrai, inaltérable, y croire et être en mouvement en acceptant le prix. Et avancer. L'amour ne doit pas être un obstacle à l'ordre établi mais doit "obéir à une alchimie que le cœur doit suivre" p.164.
"Rien n'est plus dangereux que le fameuse appartenance", nous dit Amadou Elimane Kane à la page 136 de l'ouvrage.
Amadou Elimane Kane montre dans son récit que si l'homme entreprend et réussit de grandes réalisations c'est parce qu'il bénéficie de la présence douce et aimante d'une femme -qu'elle soit mère, sœur, amie, épouse, etc. Si Boubacar est resté à l'école, Amy, sa mère s'est battue avec ardeur. Ensuite il a eu la chance de rencontrer Collé dans le train de Dakar à Bamako, ensuite plus tard Julia qui l'accompagne jusqu'à Rome. En France Anne-Marie lui offre "son amour avec force et authenticité, désormais Boubacar n'était plus seul".
Samba Diallo n'a pas écouté les sages paroles et les recommandations de son épouse, préférant poursuivre son extraversion, il a mal fini.
Demba Diallo a réussi à s'extirper de son désespoir parce qu'il y a Nabou.
La poésie est condition de toute vie, elle est source de vie et le poète recrée le monde. Amadou Elimane Kane  sait avec Hölderlin  que "les poètes fondent ce qui demeure". Il marche et se souvient, alors il ne peut ni se taire ni se soumettre.
Pour m'arrêter, L'ami dont l'aventure n'est pas ambiguë est un récit de générosité et d'ouverture écrit dans une langue de toute beauté, avec des phrases simples et pratiquement sans coquille où Amadou Elimane Kane nous montre qu'il faut considérer l'homme dans sa qualité fondamentale d'être humain, comme son prochain, qui possède une liberté et une conscience. Une belle leçon d'humanisme à insérer dans le programme scolaire des jeunes africains pour leur rappeler que le développement passe par l'éducation, c'est-à-dire l'apprentissage des valeurs morales et de la rectitude de la conduite que nous pouvons appeler discipline. C'est la connaissance qui nous élève et fait notre richesse d'homme.
Ndèye Codou Fall
L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, Amadou Elimane Kane, récit, éditions Lettres de Renaissances, Paris, 2013

Cheikh Hamidou Kane, le gardien de notre mémoire

Cheikh hamidou kaneCheikh Hamidou Kane est un écrivain rare. Rare car peu littérateur et peu bavard. Ces ouvrages littéraires au nombre de deux ne sont pas la répétition d’une œuvre qui aurait épuisé son souffle. Non, ses publications vont à l’essentiel et nous disent toujours, en même temps qu’ils racontent par leur construction romanesque, ce que nous devons retenir de notre histoire,  de notre mémoire, de nos hésitations et de nos complexités humaines.
Si les livres de Cheikh Hamidou Kane appartiennent pleinement au patrimoine littéraire africain, ils sont aussi le reflet de la condition humaine, inspiré de  la philosophie et des sciences sociales qui nous éclairent de toute leur intelligence, de toute leur splendeur remplie de générosité et d’humanité.
Après plus de vingt ans de silence et L’aventure ambiguë, publié en 1961, qui, par sa force philosophique, est devenu un livre culte de l’Afrique du 20ème siècle, Les Gardiens du Temple reprennent le fil du récit, interrompu par la fin tragique de Samba Diallo. 
Situé juste après les Indépendances, ce livre-ci n’a pas encore effacé « l’ambigüité » des rapports entre les Africains, nouveaux maîtres de leur destin, et les anciens colonisateurs qui règnent encore comme des pères fondateurs, sûrs d’eux-mêmes et qui cherchent inlassablement à laisser leurs empreintes dans un monde nouveau qui aspire à la révolution et à la Renaissance.  Construit à partir de personnages dissemblables, aux expériences multiples, le récit des Gardiens du Temple est avant tout la tentative de réhabiliter l’histoire de l’Afrique ravagée par l’esclavage, la déportation et la colonisation.
Ce livre ultime de Cheikh Hamidou Kane parle de la réconciliation identitaire de l’Afrique avec les Africains et qui propose un nouveau mode d’appartenance culturelle et sociale, celui de l’union, celui de la tradition africaine sans revendication, sans aspérité, celui de la concordance qui est la seule planche de salut pour les hommes.
Par la bouche de Daba Mbaye, jeune historienne penseuse intellectuelle et politique, Cheikh Hamidou Kane envoie un message fort qui est celui de la reconstruction unitaire : « Il n’est de Renaissance de l’Afrique-mère que par l’unité, la solidarité fraternelle et le savoir ». En filigrane, Cheikh Hamidou Kane nous dit aussi que savoir c’est connaître, savoir c’est créer, savoir c’est avancer sur les voies de la Renaissance Africaine.
Mais les personnages de Cheikh Hamidou Kane, de Daba Mbaye à Salif Bâ ou encore Farba Mâri, s’ils sont profondément attachés à la tradition, ils n’en sont pas moins préoccupés par la mutation majeure qui appelle une refondation totale du continent africain qui doit abandonner les oripeaux d’une colonisation et d’une ère post-coloniale dévastatrices au profit de l’aventure humaine, pour voir renaître des peuples enfin réconciliés sur une voie commune, celle de l’unité fondamentale des civilisations : unité culturelle, unité politique et économique, unité sociale, unité humaine qui constituent les piliers des terres africaines de nouveau debout.
Mais Cheikh Hamidou Kane va encore plus loin. À travers les récits imaginaires de ses personnages, il clame une « libération totale du continent – États-Unis d’Afrique – socialisme africain » ! Nous y voilà car la pensée de Cheikh Hamidou Kane est constante depuis très longtemps, sa vision panafricaine s’accompagne du triptyque de l’unité, de l’éthique et de la fraternité.
Car à travers ce nouveau récit, Cheikh Hamidou Kane pose bien la question de la déontologie à ses semblables. Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident qui conduisait Samba Diallo à l’anéantissement de lui-même, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire qui vient fracasser la volonté coloniale qui est celle de la division, du malentendu et de la corruption organisée.
Cheikh Hamidou Kane prévient que si l’Afrique ne fonctionne pas en une unité solide au moyen de ses voies géopolitiques, culturelles et sociales, elle sera vouée à de nouveaux schismes et à la décadence qui seront les fantômes de la colonisation mais qui auront pris le visage d’un nationalisme exacerbé et stérile, d’un cercle vicieux retranché sur lui-même et qui contient un paradoxe insoluble, celui de l’enfermement.
C’est avec cette nouvelle ambigüité que se débattent les personnages de Cheikh Hamidou Kane mais lui, en narrateur omniscient et conscient, il donne les clés d’un monde meilleur à bâtir, celui de la confiance, celui de la dignité, celui de la transversalité et de la lutte solidaire.
L’esthétisme littéraire de Cheikh Hamidou Kane est de nouveau à l’œuvre car au-delà de la fiction, il s’appuie sur les valeurs universelles qui doivent guider celui qui crée celui qui propose la réflexion, qui sont celles de la vision humaine pour une société plus juste.
La littérature inspirée des sciences humaines a toujours beaucoup plus à dire que le simple exercice stylistique du roman.  La force de Cheikh Hamidou Kane c’est de réaliser la promesse d’une littérature qui raconte de manière fine et authentique ce que l’homme doit investir pour proposer une société nouvelle, en société en continuité avec l’histoire mais qui ouvre les portes d’un horizon moderne qui soit en phase avec les aspirations humaines, toutes les respirations humaines. En cela, Les Gardiens du Temple est un grand livre, un livre fondamental pour la reconquête des terres belles d’Afrique qui doivent porter les flambeaux prometteurs d’une Renaissance guidée par l’unité, par la générosité, par l’éthique, par le principe de réalité, par le bon sens et par une exigence tenace qui dépasse l’intérêt personnel, assassin de tant d’espérance. Une reconstruction salutaire pour enfin faire rejaillir les flamboyants de la civilisation africaine.
 
Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant chercheur en sciences cognitives
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Fatoumata Sidibé fait parler les masques...

Fatoumata sidibeFatoumata Fathy Sidibé est incontestablement une artiste, une artiste engagée qui possède un parcours étonnant et qui est, comme elle aime le dire, une citoyenne plurielle. Auteure, journaliste, plasticienne, fondatrice et ancienne présidente du comité belge de l’association Ni putes Ni soumises et députée au parlement bruxellois, Fatoumata Fathy Sidibé est une actrice importante de la vie politique belge dans le domaine des droits humains mais aussi une femme de sensibilité, d’art et de culture.
Cette alliance éclectique qui caractérise Fatoumata Fathy Sidibé se retrouve pleinement dans son art, dans la manière qu’elle a de transmettre ses interrogations, son esthétisme et ses émotions. Sa poésie et ses tableaux vifs et vivants sont remplis de cette expression multiple, croisée, comme si ils ouvraient, à nos yeux, le champ de tous les horizons. Fatoumata Fathy Sidibé partage avec nous ce qui l’anime, le goût du beau, de l’aventure artistique en faisant le choix d’une expérience singulière qui possède des secrets, des mystères qui révèlent une alchimie du verbe, de la matière, des couleurs et des images.
C’est que Fatoumata Fathy Sidibé possède un réel talent, une aptitude à une mélodie musicale et visuelle qui nous transporte dans des ciels de rêves et qui n’est pas figée. Jamais consensuelle, Fatoumata Fathy Sidibé offre un regard contemporain, le sien, tout en peignant des émotions universelles. C’est la force des grands artistes, celle d’imposer sa couleur personnelle à travers une sensibilité que l’on reconnait au premier coup d’œil. C’est aussi peut-être parce qu’elle sait regarder le monde qui l’entoure, être à l’écoute de ceux qui traversent des douleurs, parce qu’elle sait bien laisser sa plume et ses pinceaux parler au plus profond d’elle-même tout en nous touchant invariablement.
Oui, Fatoumata Fathy Sidibé fait parler les masques avec magnificence, avec transcendance, avec saisissement, avec étonnement, avec trouble, au moyen d’une fibre sensible et belle. Modestement, elle déclare que les masques parlent aussi mais c’est elle qui est à l’œuvre pour accomplir cette incarnation poétique et plastique. C’est la femme de cœur, de générosité qu’elle incarne qui ici se déploie dans son œuvre prodigieuse, juste, tellement bouleversante et si remarquable.
Une nouvelle fois, je le redis, il faut beaucoup de talent, d’abnégation aussi, pour parvenir à un tel flot de splendeurs, pour atteindre cette réussite poétique et cette explosion flamboyante de la sculpture des couleurs, des matières et des symboles. Cette féminité, toute en finesse et pourtant tellement puissante, Fatoumata Fathy Sidibé la matérialise dans ce qu’elle accomplit, dans tout ce qu’elle a au plus secret de sa nature, un tempérament humain, délicat, fondateur d’un style et transcendé par l’art d’une expression esthétique qui possède un souffle incroyable.
Oui, les masques parlent aussi mais c’est Fatoumata Fathy Sidibé qui leur donne vie, comme une femme orchestre, comme une femme baobab qui inscrit leur empreinte pour l’éternité.
Fatoumata Fathy Sidibé réveille la flamme poétique et artistique de l’Afrique ancestrale mais aussi celle de notre modernité mouvante qui cherche à renaître.
Fatoumata Fathy Sidibé est une interprète puissante de la Renaissance Africaine qui invente un univers éclatant, un style pur et puissant, comme une trace majeure dans le temps.
Les masques parlent aussi…, Fatoumata Fathy Sidibé, éditions Saran, Belgique, 2014
www.fatoumatasidibe.be
info@fatoumatasidibe.be
 Apercu couverture les mpa
Amadou Elimane Kane, poète écrivain, enseignant chercheur
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Cheikh Hamidou Kane : l'art du partage

aek-et-chk-2.jpgJe veux inscrire ce moment si particulier pour moi et le partager avec vous tous comme un témoignage de gratitude. J’ai passé un moment avec Cheikh Hamidou Kane, cet homme de quatre-vingt cinq ans qui porte encore un regard de jeunesse, soutenu par une sagesse infinie. Cette rencontre a eu lieu à l’occasion de la sortie de mon dernier livre L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe que je voulais lui remettre personnellement pour lui signifier toute ma reconnaissance littéraire, toute mon admiration et toute ma considération.
Cela a été un instant mémorable, un temps suspendu où, moi, l’élève était face au maître. Un maître qui n’est pas comme les autres, un maître qui habite l’humilité, la générosité. J’avais en face de moi l’homme qui m’a fait tant rêver. Selon moi, il incarne la belle créativité intellectuelle, artistique et humaine. Cela a été un des plus beaux moments de ma vie, avec peut-être le jour où je me suis retrouvé en Martinique avec Aimé Césaire.
Comme pour Aimé Césaire, ma parenté littéraire avec Cheikh Hamidou Kane est tout à fait particulière. Cheikh Hamidou Kane m’a transmis une culture, une littérature que je porte et qui m’inspire.
Mon livre L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, qui est aussi mon premier roman, s’inscrit dans la continuité de L’aventure ambiguë. Je dois beaucoup au livre de Cheikh Hamidou Kane, à cette œuvre intemporelle qui est dans mon regard et dans le regard de la postérité.
Dès l’adolescence, ce livre m’a conduit, m’a porté et tout au long de ma vie, de mes expériences. Avec L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, j’apporte ma vision littéraire sur l’humanité et en particulier sur l’Afrique, sur le Sénégal du 21ème siècle, humblement et respectueusement.
A Cheikh Hamidou Kane j’adresse ici toute l’immensité océane de ma joie, de ma reconnaissance éternelle.
Au village de Saldé dans le Fouta, on a célébré l’anniversaire de Cheikh Hamidou Kane pour son existence exceptionnelle et sa longévité dans le cœur de tous. Cheikh Hamidou Kane m’a confié qu’il voulait bâtir là-bas une école qui porterait le nom de Samba Diallo. Quel magnifique symbole ! Je m’inscris dans ce dynamisme de vie, de créativité, de renaissance. chk-et-ma-niece-2.jpg
Je voudrais aussi remercier ma nièce, Khadija Awa Racine Kane qui a organisé cette rencontre. Je lui tends ma main gauche.  
Et ici encore, je rends hommage à Cheikh Hamidou Kane pour sa simplicité,  son altruisme, son talent. Il a été mon inspiration et je le clame pour toutes les générations, pour mes enfants et les enfants de mes enfants. Mon livre vient de prendre naissance ici et maintenant dans les mains de Cheikh Hamidou Kane.aek-et-chk-1.jpg
 
                                                         Amadou Elimane Kane, poète écrivain,
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et
de recherche de Yene au Sénégal 

 

Cheikh Hamidou Kane : la littérature africaine à l'oeuvre

kane-cheik-amidou-2011-06-12-0167-pri-1.jpgL’angoisse d’être un homme n’a pas de couleur, n’a pas de frontière et est inhérente à la condition humaine. C’est ce que révèle la lecture du remarquable livre de Cheikh Hamidou Kane L’aventure ambiguë, publié en 1961. 
Ce récit, devenu une œuvre majeure de la littérature noire africaine, est construit comme une tragédie classique. Son héros, Samba Diallo, souffre au plus profond de son être dans son unité que rien ni personne ne vient apaiser, si ce n’est le néant éternel. C’est l’histoire d’une destinée grave qui bascule dans une aventure non seulement ambiguë mais déchirante.
 Au commencement, Samba Diallo, jeune garçon du pays des Diallobé, reçoit l’enseignement sans concession de l’école coranique. Il souffre mais revient toujours à la porte de la caverne car les paroles de la religion apaisent ses douleurs d’enfant et lui laissent entrevoir la lumière d’un monde spirituel n’ayant aucune crainte de la mort. Il est à la construction de son éducation, de sa culture et de sa terre d’enfance. Puis vient le temps d’aller à l’école étrangère puisque les colons y obligent l’élite noire à s’y rendre pour, semble-t-il, gagner en force et vaincre la misère.
Le doute s’installe alors pour Samba Diallo. Doit-on faire un choix entre dieu, le savoir et la révolte ? Il écoute les paroles des adultes qui opposent la vérité de l’Afrique ancestrale à la mécanique de déshumanisation de l’Occident. La confusion est à son paroxysme pour Samba Diallo qui doit quitter son maître et qui dans sa sagesse précoce ne trouve pas de réponse apaisante au nouveau monde qui s’installe.  
Le jeune homme grandit et le voici à l’université française pour étudier la philosophie. En exil, son initiation occidentale passe par plusieurs phases. Le sentiment tout d’abord d’un vide humain dans les rues parisiennes, d’une absence spirituelle de la terre natale et de la vérité cruelle de la colonisation. En même temps, s’installe pour Samba Diallo le métissage culturel par l’Occident qui peu à peu éloigne les repères d’une éducation religieuse plutôt vouée au stoïcisme. Samba Diallo ne peut choisir entre l’une ou l’autre culture, il est devenu les deux et comme une punition il n’en ressent que de la souffrance. « Ici le monde est silencieux et je ne résonne plus » mais pourtant Samba Diallo, dans sa traversée occidentale, ressent une fascination morbide pour cette civilisation qui le conduit inexorablement à la névrose et à la mort.
Ce récit magnifique, d’une grande portée philosophique, a traversé l’histoire du 20ème siècle et ses tourments. De la colonisation, à la révolte africaine, aux indépendances mensongères, à l’exil destructeur, au métissage géographique et ethnographique. En lisant ce livre, on comprend différemment les problématiques de notre époque contemporaine. Réussir à vivre sa double appartenance, ses identités multiples en en tirant toutes les richesses humaines et le dépassement de ce qui est insupportable pour se construire soi-même. Le livre de Cheikh Hamidou Kane est essentiel car il place les questionnements de l’être au premier plan pour révéler l’extraordinaire complexité de la nature humaine.
Ecrit dans une langue hautement travaillée et stylisée, L’aventure ambiguë s’aventure sur les chemins de la pensée philosophique, de l’étude de la spiritualité et de la tragédie antique. Roman majeur de la littérature africaine du 20ème siècle, il est une source infinie de connaissances, de l’appréhension de soi, de la difficulté identitaire, de l’opposition des cultures, même si elle s’avère souvent construite, à une époque aigüe et douloureuse des relations africaines et occidentales. C’est aussi une œuvre qui annonce le début d’une nouvelle ère, celle de la mixité culturelle, de la richesse des civilisations bâties sur la pluralité, du dialogue de l’histoire pour engager le dépassement d’un combat douloureux pour permettre l’émergence de la renaissance africaine.
Amadou Elimane Kane, poète écrivain
et fondateur de l’Institut Culturel Panafricain et de recherche de Yene

Lettre-poème imaginaire pour un retour à un pays natal réel

Hommage à Césaire l’Aimé…Le Nègre Fondamental, Ndongo M'Baye ndongo-mbaye-2.jpg
 
Au bout du petit matin
La Tragédie du Roi Christophe
Et ces cris de Désespoir
Ces pays atterrés
Suffoquant sous le poids de la Douleur
Ces peuples incrédules las exsangues
Regrettant à jamais de ne pas t’avoir choyé
Et compris
Ces âmes petites engoncées dans leur sempiternelle
Lâcheté
Leur pauvre couardise
Leurs sournoises compromissions
Leurs puantes trahisons
De déguenillés
De désossés de l’Histoire
 
Au bout du petit matin
Après ton Discours sur le Colonialisme
Tu es parti
Sans te retourner digne et fier
Mais malheureux de lâcher tes progénitures orphelines
Dans les glauques miasmes de temps obscurs
D’espaces traumatisés inertes
D’esprits trépanés trébuchés de leur bon sens
D’âmes amputées exsudant le pus-prurit de leurs plaies
D’idées purulentes vérolées calfeutrées flétries
 
Au bout du petit matin
Cheminant collé serré avec ton Cahier d’un Retour au Pays natal
Comme dans la transe d’un ndoëp salutaire
Sur ce sentier-au-morne
Entre l’Atlantique et la Caraïbe
L’entre-deux-mers
Sur ce promontoire de l’Universel
Aux mille singularités
Ta Lumière magique
Tes Armes miraculeuses
Tes Amours par le monde
Dispersées
Ton Discours à l’Humanité présente
Et à-venir
Tes Songes d’éternels jours d’été
Tes Rêves de Mots de grandeur inscrits sur tous les frontispices
Balayant les Maux nègres
Des negs noirs
Des negs marrons
Des negs aux mains sales
Des negs aux mains propres éventrés dans leur Négritude
Sous la bénédiction de la Négraille complice
Aux dents d’or qui brillent sous les compliments hypocrites
 
Au bout du petit matin
Toi la Laminaire au long thalle fertile
Toi le Début du livre le Liminaire fécond
Porté par les ombres de tes baobabs
De Ton Fromager pluri-séculaire qui t’écoute
Ton alter ego
Tu exultes de Bonheur
Entre le profane et le sacré
Pour mieux t’imprégner des mânes des ancêtres
Buvant goulûment aux mannes des origines
Pour brandir les sources ataviques
Filets limpides de fleuves lunaires bénis
 
Au bout du petit matin debout à jamais
Ivres de ton legs infini
Ton héritage indéfiniment partagé
Rassemblés au « penc »
Unis pour le meilleur
Contre le malheur et le pire
Gorgés du suc des victoires des combats incontournables
Nous crierons pour que se lézardent les silences
Violeurs de nos cœurs
Dévoreurs de nos ventres
Pour annoncer les Amours-Savanes
Et exhumer la Poésie du monde
 
Au bout du petit matin
Ces airs de gro-ka musclés rythmés de sueur
Trempés dans des chants érigés
En monuments aux morts
En hommage aux chantres
En plaidoyers pour les vivants
Des airs de flûte des mornes aux paroles languissantes profondes
Gloussant de vieilles antiennes initiatiques
Des airs de jazz triés sur le volet
Arborant tous les drapeaux
Pour installer sur la terre entière
Les Soleils naissants d’une Nouvelle Humanité
Horizon de libertés créatrices
 
Au bout du petit matin
Ton corps flottant sur les hauteurs éthérées de Madinina
Ton île de refus
D’affirmation de ta quintessence nègre
De ton identité une et indivisible parce que unique et multiple
Appelant tes peuples à prospérer dans la Paix
Pour le repos dans ton champ de canne à sucre
Au Panthéon de la Martinique.
 
Choisy-Le-roi le Mardi 22 Avril 2008
Ndongo MBAYE
Docteur-es-lettres
Sociologue et Journaliste
Poète-écrivain, auteur de « Amours-Savanes » paru en Février 2005 chez Acoria, de « Les Lézardes du Silence » paru en Juin 2007 et du Recueil de Nouvelles « Ombres » en Mai 2011 Acoria
Professeur-Associé en Communication et Sociologie à l’UCAD (Université Cheikh Anta Diop),  et à l’IFAA (Institut de Formation en Administration des Affaires).
Membre du Comité Scientifique, Directeur du Département Lettres et Culture et des Universités d’été de l’Institut Culturel Panafricain et de Recherche de Yene (ICP)
Président du Jury du Prix de Littérature Contemporaine Africaine de l’ICP
Directeur de la Collection « Poésie »de la Maison d’édition « Lettres de Renaissances » (Sénégal, France)
Responsable du Pôle Loisirs Retraités et Handicapés à la Mairie de Choisy-Le-Roi (Val de Marne) en France.

Littérature, mémoire et Renaissance Africaine

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La réflexion que je veux partager avec vous porte sur le sujet Littérature, Mémoire et Renaissance Africaine qui s’inscrit dans la thématique de la préservation, promotion du patrimoine culturel et mémoire. En effet, l’appropriation réelle de notre patrimoine historique est un élément fondateur de notre identité. C’est dans cette perspective que je propose d’aborder la problématique du lien qui existe entre la littérature, la mémoire et la Renaissance Africaine. Autrement dit, comment la littérature peut jouer un rôle afin de mettre en lumière le patrimoine historique et culturel et œuvrer ainsi pour la Renaissance Africaine.

Sur le socle fondateur des civilisations, la littérature tient une place prépondérante. C’est le médium qui met en exergue l’héritage culturel, historique et social. Elle est un des symboles de la mémoire collective, elle est une inscription conjuguée à tous les temps. Par sa nature intemporelle, la littérature représente un espace d’expression singulier tourné vers la liberté, la créativité tout en étant le reflet de l’humanité. La littérature est un art majeur, créée par les hommes pour raconter, témoigner et constituer ainsi le tissu mémoriel de plusieurs générations. Elle contribue à l’enrichissement de la pensée et à éclairer les patrimoines historiques et culturels, elle en est le témoin puissant.

Quand on questionne littérature, mémoire et Renaissance Africaine, il convient de rappeler un paradigme fondamental qui consiste pour le peuple africain à recouvrer la connaissance de soi, la confiance en soi et l’estime de soi. La renaissance africaine est une démarche qui propose un ensemble de valeurs en rupture avec les représentations afro-pessimistes. Cette démarche de rupture doit s’accompagner d’une unité africaine avec pour levier plusieurs articulations qui permettent d’œuvrer pour la renaissance : une unité culturelle avec la réappropriation du patrimoine historique ainsi que l’exercice des langues nationales ; mais aussi une unité économique et monétaire avec une réelle exploitation des richesses naturelles du continent et enfin une unité politique d’où doit émerger une véritable démocratie, la défense des droits humains fondamentaux et la lutte contre les corruptions. Mais ce projet panafricain ne pourra s’accomplir sans l’idée forte selon laquelle chaque africain doit recouvrer une image juste de soi avec l’estime et la confiance nécessaires à la réhabilitation de ses valeurs humaines, sociales, culturelles et artistiques. Cette prise de conscience est un élément fondamental afin de comprendre la nature plurielle des enjeux majeurs du 21ème siècle du continent africain.

C’est ainsi que la littérature africaine doit être au service de la réhabilitation historique pour que chacun puisse se réapproprier, de manière durable, son patrimoine culturel qui permet la connaissance de soi, la reconstruction de soi et la perception profonde de la mémoire. La littérature a un rôle fondamental à mener pour contribuer à la restauration de la vérité historique panafricaine, afin de bâtir et de promouvoir un espace unitaire créatif dense qui s’écrit au singulier et au pluriel. La littérature doit œuvrer pour la Renaissance Africaine en questionnant, jusque dans les détails, l’héritage historique du continent, les croyances cosmogoniques, leurs significations et leurs origines. Dans cette conception, il est certain que la réussite de la littérature africaine dépend de sa capacité à cerner et à interpréter les finesses et les subtilités des systèmes de pensées africaines. Elle doit s’approprier les traditions profondes et riches des formes africaines du récit. C’est en elles qu’elle va puiser la vision épique nécessaire à la création de chef-d’œuvres. C’est pourquoi l’appropriation de l’héritage historique est un des piliers fondateurs de la renaissance. Par conséquent, la littérature africaine doit s’inscrire non seulement dans une réalité matérielle, dans sa perspective historique, mais doit aussi engager des réflexions sur les projets cosmiques et sur le rôle de l’humanité. En ce sens, elle doit briser les murs entre le passé, le présent et le futur.

Quand il s’agit de dire comment la littérature peut porter la mémoire africaine, il est également important de rappeler la pertinence de l’utilisation des langues nationales. L’héritage historique, culturel et artistique est au cœur de la démarche de la Renaissance Africaine, c’est avec cette vision que la littérature peut recréer le lien entre mémoire et renaissance. L’histoire de l’Afrique est présente partout dans le monde, à travers ses diasporas et sa perpétuelle créativité dans les arts majeurs de l’époque contemporaine. L’inventivité africaine est un flamboyant fleuri, un baobab enraciné dans l’héritage historique, un palmier moderne dressé vers le ciel. L’Afrique possède toutes les ressources fécondes de sa renaissance.

C’est une littérature sûre d’elle, ancrée dans son patrimoine historique et culturel, attachée à ses richesses, défendant ses valeurs, utilisant ses potentiels, son intelligence, qui relèvera le défi de la Renaissance Africaine.

L’unité continentale d’un point de vue économique, politique est capitale mais c’est à travers la réappropriation du patrimoine culturel et des langues nationales que nous contribuerons au retour d’une conscience historique réelle en harmonie avec l’héritage culturel et une ambition sincère pour l’éducation. Ici et maintenant, il est important de redire combien la littérature doit être l’expression du patrimoine culturel et historique africain car elle est un enjeu indispensable au développement et constitue un des leviers de la Renaissance. C’est ainsi que l’on peut affirmer que le 21ème siècle est celui de la Renaissance Africaine.

Amadou Elimane Kane, Poète écrivain, enseignant chercheur et fondateur de l'Institut Culturel Panafricain